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Tous les garçons et les filles de Jérôme Lambert

Jérôme Lambert, Tous les garçons et les filles, L’école des loisirs, « Médium », 2003.

Une relecture

 

C’est un titre qui rappelle une ritournelle de Françoise Hardy, « Tous les garçons et les filles de mon âge / Se promènent dans la rue deux par deux / Tous les garçons et les filles de mon âge / Savent bien ce que c’est qu’être heureux… ». Mais, après tout, comme la chanson a pris de l’âge et ne parle pas à tout le monde, ce pourrait être ramené à une simple image incarnant une règle universelle, un modèle commun, d’une évidence telle qu’il ne pourrait en aller autrement, « tous les garçons et les filles... se doivent d’aller deux par deux ». En l’occurrence, au regard de l’histoire qui suit, l’ironie du titre est amère, plus amère que la chanson.

 

Julien Lemeur, seize ans, entre en seconde et le livre nous accueille par quelques phrases suspendues en une épigraphe :

J’ai tout de suite vu que quelque chose clochait dans ce lycée.

Je ne sais pas pourquoi.

Sans doute l’intuition masculine.

 

Le piège était tendu et j’allais tomber dedans.

Un jour ou l’autre.

 

La suite prouvera que j’avais partiellement raison.

Ces phrases sont curieusement découpées. Elles résonnent avec un mélange de fatalisme un peu lourd et de malice discrète (si on n’y prend pas garde). Tout à fait le ton de Julien, narrateur qui oscille entre ironie et déprime, et qui en dit le plus par ce qu’il tait aux autres.

Une existence où bien des choses se répètent et dont on saura peu : déjeûners du mercredi au restaurant avec le père, fragments de dîners avec la mère (les parents sont divorcés), insomnies, migraines, phobie des cours de sport... La parole de Julien est laconique et acide. Tous les garçons et les filles va au gré de son année de seconde, de bout en bout, une année de révélations, en quelques moments intenses, entrecoupés par de longues accélérations dans le temps. La rentrée a une place de choix, on saute ensuite à pieds joints dans le trimestre et c’est déjà Noël, puis survient un long et pesant week-end de Printemps, au milieu du roman, puis un jour de pluie, le dernier des vacances de Pâques, et enfin (ou presque) un intense séjour à Barcelone, sous le soleil de mai.

De gré à gré, Julien s’arrête, résume, sélectionne, mais c’est très peu rétrospectif. On est avec lui dans les tâtons de ce tournant de vie. Au total, il en demeure 111 pages ténues, d’une retenue, d’une sobriété bouleversantes.

Comme en passant, dès la cinquième page, Julien parle déjà de Clément :

[…] À part ça, tout le monde se tient à carreau.

Surtout lui, devant, avec sa grande nuque et son col de chemise impeccable. Lui, en revanche, n’a adressé la parole à personne, ce qui me le rend d’emblée sympathique. Personne ne le connaît et il ne connaît personne. Un garçon aussi silencieux et calme, aussi perdu que moi, ne peut être qu’un ami. En tout cas un allié. [p. 12]

Ce soir de rentrée, devant sa mère, il hésite et rumine des mots qui ne sortent pas de sa bouche, désir de dire et, peu après, un renoncement :

Ah si, il y a un type très beau devant moi, il a l’air sympa, sans doute un nouveau.

— Et toi, tu es près du radiateur ?

— Mais non ! Je suis sur le côté, près d’une fenêtre.

Non, décidément mon voisin de devant n’est pas un événement digne de figurer au rapport ce soir. [p. 17]

Ainsi va Julien, qui voudrait « devenir le meilleur ami de Clément Renaud », mais qui s’y entend de façon tragi-comique pour tout faire capoter : « Je suis un garçon qui fait l’inverse de ce qu’il veut vraiment » reconnaît-il un peu plus loin (p. 27). Au fur et à mesure que les heures et les jours passent, son récit enregistre des choses, des gestes de Clément (dès la page 24), mais lui ne semble remarquer que ses propres erreurs, ses reculades, quand il fait le « bégueule ».

Augurant du procédé du livre suivant de Jérôme Lambert, Meilleur ami, quelque chose s’insinue entre ce que le héros-narrateur pourrait comprendre et ce qu’il saisit réellement. Cet écart est à la fois drôle et terriblement pathétique, surtout dans le cas de Julien, au point qu’on pourrait le croire aveugle si on ne voyait pas tout avec ses yeux à lui !

Clément s’économise, parle peu. On ne peut pas dire que je suis devenu son meilleur ami, mais nous échangeons, essentiellement des cigarettes et des sourires.

Au lieu de parler, on se regarde pour commenter en silence la conversation en cours. Nous avons mis au point une sorte de lexique muet… [p. 37]

L’humour est surtout porté par la voix de Julien, son mélange de détachement feint et de politesse désespérée, tandis que le pathétique vient comme à son insu. La lézarde dans sa carapace se fissure lentement, avivée par les nuits trop courtes et une détresse d’autant plus aiguë qu’elle se dit sur le mode de l’autodérision.

Comme me l’a dit une fois Romain en quatrième, les garçons, en général, c’est con. En général et dans l’absolu, avait-il dit. Son conseil avait été de fermer sa gueule, de ne faire, face à la connerie, que de la résistance passive. [p. 40]

… Suit une conversation avec un « très bon copain », dialogue de sourds où se dit pour le lecteur tout ce que Julien comprend et condamne au silence, la logique de son orbite, sortie d’un système hétérocentrique où « tous les garçons et les filles /savent bien ce que c’est qu’être heureux » (comme dit la chanson) ou devraient le savoir, en tout cas. Toute la force de ce roman est de donner à sentir, par des non-dits, ce qu’éprouve un garçon qui se sent obligé de cacher qu’il en aime un autre, et qui perçoit la cruauté de la norme. Pas de long discours, mais des situations, et Julien qui subit, encaisse, renonce. Jusqu’à quel point ?

 

[En dire plus, ce serait gâcher le plaisir de celles et ceux qui n’auraient pas lu le roman et en formeraient le projet. J’insère ici une photographie de l’auteur. Les quelques analyses situées en dessous sont destinées à un lecteur qui connaît déjà l’histoire ou qui n’a pas l’intention de la lire.]

 

 

Dans une interview en ligne, datant de 2007, Jérôme Lambert exprime très clairement une intention capitale du roman :

J'ai également, pour ce livre, voulu remplir un vide éditorial. En littérature [jeunesse], les livres abordant l'homosexualité sont tous écrits d'un point de vue externe. Ce sont toujours les proches qui racontent l'homosexualité d'un(e) autre (un père, un frère, un oncle, un cousin, un ami...). Avec ce roman, je voulais parler de l'homosexualité à la première personne, ce que ressentent les jeunes quand ils se découvrent homosexuels.

De fait, à la parution de Tous les garçons et les filles, en 2003, il n’y avait guère de précédents : sans compter La danse du coucou (passée inaperçue), je ne vois que Macaron citron (histoire de filles assez didactique) de Claire Mazard (2001) et À pic de Franck Secka, paru en 2002. Différence notable, le narrateur-héros d’À pic est bien plus jeune (il a une douzaine d’années). En outre, ce dernier roman se présente sous la forme d’une remémoration (l’histoire se passe en 1977).

Cette limite posée, mon réflexe spontané est effectivement d’acquitter, en tout cas pour ce qui est des garçons, ce caractère inaugural de Tous les garçons et les filles (mais c’était il y a seulement six ans !). D’ailleurs, j’ai relu le livre avec cette idée en tête : le premier roman-jeunesse français raconté par un garçon adolescent et homo. Ce serait réducteur de le réduire à cela, mais ça n’en demeure pas moins important. L’un des rares aussi à se coltiner la figuration de l’homophobie, à travers le personnage tête-à-claques de « Roussier », même si Julien (et Jérôme Lambert) ne nous en disent pas non plus énormément.

L’une des choses que le livre exprime le mieux, donc, est le porte-à-faux permanent du personnage face aux situations amoureuses où l’on attend de lui, comme une évidence, des inclinations qui ne sont pas les siennes, et son aspiration implacablement bridée à dire ce qui le bouleverse :

Non, Papa, je ne peux pas te parler de Clément, je ne pourrai jamais. Tu ne pourrais pas entendre ça. Tu ne comprendrais pas que je veuille devenir son meilleur ami, l’ami qui sait tout, à qui il confie tout. Et puis, tu n’as jamais regardé cet endroit de la peau d’un garçon, entre sa nuque et son col de chemise. [p. 31]

Dans mon enthousiasme, à l’époque, j’avais lu dans la foulée le très réussi premier roman pour adultes de Jérôme Lambert, La Mémoire neuve. Mais je ne me souvenais pas que les deux livres partageaient le même héros. Pourtant, l’auteur le précise lui-même dans l’entretien déjà cité :

En 2002, pendant que j'écrivais La Mémoire neuve (paru « pour adultes » aux Éditions de L'Olivier), j'ai eu le sentiment de devoir raconter le passé de Julien, le narrateur, d'expliquer mon personnage. C'est ainsi que j'ai commencé à écrire Tous les garçons et les filles, l'histoire de Julien et de son éveil à son homosexualité.

Les deux livres forment une sorte de diptyque, complété par Meilleur ami, deuxième roman pour la jeunesse paru en 2005 dont le narrateur, pour le coup, n’a même pas encore saisi qu’il aimait un garçon (à la différence des lecteurs perspicaces). Il faut dire qu’il a un an de moins (il est en troisième). On ne sait même pas son prénom (façon de laisser à chacun le droit de faire le lien ou non avec Julien ?). Meilleur ami présente un aspect plus serein et plus joueur que Tous les garçons et les filles. Plusieurs lecteurs/lectrices de ma connaissance n’avaient d’ailleurs pas relevé le jeu de symétrie par lequel Jérôme Lambert nous fait comprendre malicieusement ce qu’il en est. Et même s’il a laissé ouverts tous les possibles : « Avec Meilleur ami, j'ai tout simplement voulu évoquer la naissance du sentiment amoureux à l'adolescence : l'éveil à l'amour mais également la perception de ce sentiment. »

 

Pour en revenir à Tous les garçons et les filles, je pense avoir à peu près exprimé le travail tout en délicatesse et en effleurements de Jérôme Lambert. Le propos de Julien est complètement explicite et en même temps pudique. Sa façon de parler de Clément, de la façon dont celui-ci finit par forcer ses réserves, masque autant qu’elle montre. D’aucuns pourraient regretter tout ce qu’il y a de ténu dans le dit, mais je trouve qu’il en va plutôt d’un respect profond pour le personnage, ce qu’il rend possible et ce qu’il s’interdit. Cette fidélité (contrebalancée par tous les côtés obtus ou immatures de Julien) est un aspect très émouvant du livre, en même temps qu’un regard juste sur l’adolescence et ses désajustements permanents.

Un très beau livre que je suis heureux d’avoir enfin relu.

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À la rescousse d’un réfugié gay iranien (urgent)

Comme je le faisais de temps en temps sur mon blog Myspace, je relaie ici un appel de l'Iranian Queer Railroad (anciennement Iranian Queer Organization), qui porte secours aux personnes LGBT qui fuient les persécutions en Iran. Ce qui suit est la traduction du dernier message de l'IRQR reçu ce jeudi 13 août 2009.
 

Aidez un gay iranien qui demande l’asile en Suisse

 

Plus tôt dans la journée, nous avons reçu un message de Suisse nous demandant de rappeler le numéro d’une cabine publique, dans le but de parler à un réfugié iranien qui n’a pas d’argent et a besoin de notre aide. Son prénom est Ali, il a 33 ans et il vient de Qom, le siège du haut clergé chiite. Il est arrivé en Suisse seulement hier et il a demandé le statut de réfugié sur la base des persécutions reconnues contre les Iraniens ayant une orientation homosexuelle. Ali a besoin d’une aide d'urgence.

Je lui ai parlé pendant 20 minutes pour en savoir davantage sur sa situation et le pourquoi de sa fuite hors d’Iran. Ses parents l’ont abandonné quand il avait un an et il a grandi dans un orphelinat public. À 15 ans, il a découvert auprès d’un ami quelle était son orientation sexuelle. C’était très difficile à assumer pour lui à Qom, du fait qu’il se sentait coupable de sa « conduite immorale » et qu’il redoutait les persécutions et la peine de mort (la sentence dans de pareils cas).

La situation d’Ali a tourné au drame quand il a été arrêté par les autorités, suite à la dénonciation d’un voisin qui l’avait espionné alors qu’il se livrait à des activités sexuelles avec son petit ami en privé à son domicile. Après un certain temps, il a réussi à être libéré sous caution mais devait comparaître devant le tribunal des mœurs de Qom.

« J’étais terrifié, parce que je savais qu’ils me tueraient. Non seulement ils avaient des témoins, mais en plus ils ont obtenu à la prison de Langround à Qom que mon petit ami avoue que nous avions eu des relations sexuelles. Il a dû le dire après avoir été torturé, parce que je sais qu’ils font ce genre de choses », m’a confié Ali durant l’entretien.

Il a fui l’Iran grâce à un passeur pour sauver sa vie et défendre ses droits fondamentaux. Ali a rajouté : « Je ne retournerai jamais en Iran parce que je ne veux pas être exécuté et que je me demande toujours pourquoi je n’ai pas le droit à une vie privée. »

Il est dans une très grande difficulté financière et a besoin de notre aide. C’est difficile de rester en contact car, comme il nous l’a dit : « Je n’ai pas l’argent pour aller dans un Cybercafé, où l’entrée coûte 7 francs suisses l’heure (environ 4,6 €). J’avais seulement 150 € sur moi quand je suis arrivé. J’en avais besoin pour trouver un toit et de la nourriture. » Nous avons encouragé Ali à remplir le formulaire pour les réfugiés en ligne sur notre site.

Nous lui avons immédiatement envoyé 200 dollars pour se nourrir et subvenir à ses besoins immédiats dans les premiers jours de l’exil. Mais Ali aura besoin d’un soutien financier à plus long terme ; aussi nous tournons vers ceux de nos soutiens qui souhaiteraient l’aider dans ces circonstances difficiles. Vous pouvez faire un don sur notre site, sécurisé par paypal : www.irqr.net (en anglais).

Durant les dernières semaines, l’IRQR a déboursé 795 dollars pour assister financièrement des réfugiés en Turquie et en Europe. Mohsen est l’un d’entre eux. Il a passé des nuits à la rue en bord de mer à Chypre, mais ce n’était pas du tout une situation de charme ! Sans domicile fixe, il y a été contraint parce qu’il ne pouvait payer son loyer. L’IRQR s’occupe de plus de 200 réfugiés, auxquels elle fournit soutien financier et aide juridique, afin qu’ils obtiennent le statut de réfugié et puissent vivre librement.

Les ressources financières de l’IRQR sont très limitées. Sans votre générosité, nos capacités sont limitées. Nous avons besoin de dons afin de continuer à aider les réfugiés iraniens, parmi lesquels Ali.

N’hésitez surtout pas à nous contacter si vous avez la moindre question. Merci d’avance pour vos dons. N’importe quelle somme est la bienvenue, même petite, à la mesure de vos capacités.

 

Arsham Parsi

Directeur exécutif

IRanian Queer Railroad - IRQR

Site (en persan et en anglais) : http://www.irqr.net/

Email : info@irqr.net

Téléphone : (001) 416-548-4171

414-477 Sherbourne St.

Toronto, On - M4X 1K5

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Jours de juin de Julia Glass

Julia Glass, Jours de juin [tr. fr. : Anne Damour], Éditions des 2 terres, 2006 ; rééd. Le Seuil, « Points roman », 2008.

 

Ce roman dodu (655 pages) raconte au principal le destin de deux générations de Mac Leod, une famille écossaise assez peu clanique et hétérogène, de l’après-guerre à 1999. Trois épisodes se succèdent, toujours en juin (d’où le titre, Three Junes) : « Collies » (1989), « Droit » (1995) et « Les garçons » (1999). Si chacun est centré sur un personnage et a un ancrage géographique particulier, de nombreuses réminiscences font déborder la narration vers des moments et des lieux autres. L’histoire ne suit pas un fil strictement linéaire, mais le roman est neanmoins solidement réaliste, avec une belle galerie de personnages, un arrière-plan historique bien établi, un amour discret pour les paysages, etc. Mis à part quelques détails formels, la facture du livre est très classique, avec une prédilection pour les interactions humaines et les émotions, que Julia Glass donne à voir avec un tact et une subtilité qui sont l’un des intérêts principaux de la fresque. L’ensemble est d’une très grande cohérence, même si l’auteure s’est ingéniée à le transformer en un puzzle dont les pièces ont été éparpillées et réassemblées. Elle partage avec le lecteur attentif une vision globale qui échappe complètement à ses personnages, prisonniers d’un « ici et maintenant » opaque comme peut l’être chaque moment d’une existence.

 

Paul MacLeod est l’héritier d’une famille de journalistes, tenant les rênes du quotidien Yeoman de Dumfries-Galloway (au Sud-Ouest de l’Écosse). À son retour de la guerre, il a repris l’entreprise familiale et s’est marié avec Maureen, une jeune femme indépendante d’origine plus modeste. Ils ont eu trois enfants, Fenno, David et Brian (au début des années 1950). Maureen s’est lancée dans l’élevage des collies (des chiens de berger), suivant là une passion singulière et traçant son propre sillon. Les enfants ont été élevés à la Britannique (avec nanny, pension…). L’aîné est parti à New York au début des années 1980 pour faire une thèse et n’est pas revenu. Les cadets sont devenus vétérinaire pour l’un (fidèle à l’Écosse méridionale) et cuisinier pour l’autre (marié à une française et expatrié). Le premier épisode a lieu après le décès de Maureen (d’un cancer des poumons) et suit Paul au fil d’un périple dans les Îles Grecques, sa rencontre avec un ailleurs incarné dans une poignée de personnages, dont Fern, une jeune peintre Américaine. Le second se déroule sept ans plus tard, dans la maison familiale de Tealing, dans des circonstances exceptionnelles et tendues. Le dernier retrouve Fern invitée par un ancien amant, Tony (qui fut aussi celui de Fenno), dans la maison d’un inconnu à Amagansett (sur la presqu’île de Long Island, banlieue chic de New York).

 

Fenno, fils aîné de Paul et Maureen, polarise l’ensemble. À défaut d’être le héros du roman dans un sens conventionnel, il est à tout le moins le personnage de prédilection de Julia Glass : narrateur de la partie la plus volumineuse du livre (la deuxième, son plat de résistance, qui occupe les 3/5e du volume). Dans une interview en ligne, elle compare d’ailleurs son livre à un triptyque religieux, l’image centrale jouant un rôle essentiel (facial) tandis que les pièces de côté donnent une vue de profil. Fenno est le seul personnage à dire « je » : les première et troisième parties, centrées sur Paul Mac Leod (son père) et Fern (son double féminin ?), sont racontées à la troisième personne. Le titre anglais Upright a été traduit un peu cursivement par « Droit », qu’il faut comprendre dans un sens postural (se tenir droit, ou avoir la droiture comme caractéristique morale). De fait, il s’agit de l’un des trais récurrents que Julia Glass prête à son personnage. Par de patientes touches et notations éparses, elle a dessiné la complexe psychè d’un homme dont l’existence repose sur des principes sévères, érigés pour pallier le peu de compréhension qu’il a de lui-même. Avec une virtuosité discrète, elle suggère un décalage constant entre les aspirations de Fenno (à l’autonomie, au contrôle, à la décision) et la façon dont il est concrètement agi, manipulé, mobilisé par ses entourages successifs. Il y a quelque chose de touchant, mais aussi de profondément attachant dans cette figure de « gay new-yorkais » à la fois conforme (par sa situation sociale) et hors norme (par le fil de son existence).

On pourrait également dire que Jours de juin est une saga familiale, au sens où elle montre un individu (Fenno, donc) qui assiste à la construction progressive, autour de lui, d'une famille symbolique, laquelle mélange largement matrice biologique, rencontres faussement hasardeuses et affinités gémellaires (ainsi Julia Glass fait subtilement converger ses deux personnages aux prénoms voisins, sans jamais forcer le trait ou les analogies). Leur rencontre dans le troisième volet est un désir de lecteur (une sorte de partie surprise) avec lequel l’auteure s’amuse, suivant des chemins qui échappent aux protagonistes eux-mêmes.

 

Cette lecture a déjà deux mois (ça date de juin !), et le souvenir en est singulièrement épuré. J'en garde un souvenir fort agréable, même si les romans psychologiques (même behavioristes* comme celui-ci), ne sont pas ordinairement ce dont je raffole le plus. Pour fouiller davantage l'analyse, il aurait fallu que je le relise et, pour le coup, ce n'est pas non plus une priorité.

 

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* La psychologie dite behavioriste s'emploie à cerner des comportements de l'extérieur, sans recours à des manifestations d'une quelconque intériorité (psychique). Comme courant scientifique, elle est un peu passée de mode. En revanche, l'idée est utile et j'aurais du mal à l'exprimer par un synonyme efficace.

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