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jim grimsley

Dream Boy adapté par James Bolton

À propos de Dream Boy de James Bolton (2007), édité par Optimale (sortie le 13 mai 2009)

 

Je viens de visionner ce film, précédemment annoncé ici parce qu’il s’inspire d’un livre que j’aime. Je comprends désormais pourquoi il n’est jamais sorti en salles, en France du moins. Il fallait une vente directe en DVD pour ne pas éventer la médiocrité du résultat. L’affiche (kistsch et empruntée) est déjà annonciatrice de la laideur et du manque d’intérêt de la chose. L’histoire semble se dérouler de l’autre côté d’une vitre ou d’une plaque de verre, un peu ce qu’on ressent devant certains vidéoclips. Le spectateur assiste à une sorte de résumé laborieux du livre, mal joué, filmé à la sauvette.

Prenez un roman très dense et très écrit. Passez le dans une centrifugeuse pour n’en garder qu’un synopsis. Collez un décor qui vaudra « en gros ». Puis filmez la chose en ayant pour cahier des charges de n’oublier aucun épisode du résumé. Ça vous donnera le genre de résultat qu’est Dream Boy, le film, l’une des pires adaptations cinématographiques que j’aie vues dans ma vie. Adonné à sa très plate et ininspirée mise en images du livre, le réalisateur n’a même pas réussi dans ce modeste registre de l’illustration. La représentation de la « nature », par exemple, semble une sorte d’exercice parmi d’autres, qui donne lieu à quelques cadrages scolaires. La scène de la baignade, l'une des plus belles du livre, tombe complètement à plat faute d'une imagination plastique pour la faire palpiter et d'acteurs convaincants.
Ce qui manque le plus cruellement ici, ce sont des parti-pris de mise en scène, autrement dit un certain abord du matériau. Adapter un livre demande des choix, sinon le résultat est invertébré. L'argent semble avoir manqué.  Pourquoi ne pas avoir resserré le film sur les relations entre les personnages, dans ce cas ? Ou coupé dans la masse pour ne garder que quelques unes des inspirations possibles ? Au lieu de quoi, Bolton essaie de tout reprendre (scènes et thèmes) : la relation gay à l’adolescence, le climat religieux, l'homophobie, l’inceste, la nature, le fantastique, etc. Mais ça fait dix fois trop pour les petits bras de son film, qui ne retiennent rien. Il en ressort une impression de vacuité, de ratage.
Les acteurs sont mal choisis : celui qui joue Roy (Maximillian Roeg) est tout simplement inexpressif, celui qui incarne le père incestueux de Nathan (Thomas Jay Ryan) en fait des tonnes pour un résultat grotesque. Quant à Stephan Bender, il a au moins cinq ans de trop pour le rôle principal, on lui a donné une petite voix qui paraît complètement artificielle (ou sous-enregistrée ?). Les scènes où Nathan et Roy font leurs devoirs frisent le ridicule tant les acteurs ne sont pas crédibles (et il n’y va pas que de leur âge). Comme en plus Stephan Bender est plus grand, on ne croit pas un instant que son personnage pourrait avoir deux ans de moins que Roy : ça fait partie de ces choses qui sont dites dans le film mais qui n’ont aucun écho à l’écran.

Plusieurs scènes ressemblent aux préliminaires dans un porno amateur, et l’ensemble de ce contenu « érotique » finit par occuper une vaste place, au détriment du reste. Quand on a vu les deux acteurs retirer leur tee-shirt pour la quatrième ou la cinquième fois, on a envie de dire : « passez à autre chose ! » (on pourrait se passer complètement de ces scènes érotico-soft). Il n’en reste d'ailleurs que des gestes cliniques et des images à la David Hamilton, pesants arrêts sur image qui sentent la guimauve (on a un aperçu de cette esthétique avec le cliché ci-contre). Et il y aurait tant à dire sur l'interminable et insupportable scène de viol, dont l'étirement relève selon moi de la complaisance pornographique, pas d'une empathie pour le personnage de Nathan.
 
Pour avoir vu ailleurs une déferlante de commentaires enthousiastes, je sais que cette critique ne va pas plaire à tout le monde. Tant pis pour le consensus. Un film mal fichu, sans imagination cinématographique, même basé sur des sujets très forts, reste un navet. Passer sur les défauts et adhérer envers et contre tout fait surtout les affaires d'éditeurs et de producteurs peu scrupuleux.

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En mai : Dream Boy version filmée, Le Jardin d'acclimatation réédité

Navarre-jardin-2009.jpgQuelques informations glanées ici et là. J'ai appris grâce au site Gay Clic qu'une adaptation du roman Dream Boy de Jim Grimsley par James Bolton (Eban & Charley) sortait en DVD le 13  mai. Et j'ai découvert sur Amazon que les éditions H&O allaient republier Le Jardin d'acclimatation d'Yves Navarre (Nota bene ultérieur : cette réédition est finalement parue en octobre 2009), dans leur collection de poche. S'agissant de deux livres que j'aime énormément, je me réjouis qu'une nouvelle chance leur soit donnée. Je ne sais pas si je pousserai l'enthousiasme jusqu'à publier de nouvelles critiques, mais il y a déjà des bricoles sur ce site si on suit le lien ici.

 

Pour les paresseux, je recopie ma présentation de Dream Boy :

« Nathan est un adolescent ballotté de maison en maison par ses parents, fuyant un lourd et pesant secret dont il est la victime. À l'occasion d'un énième déménagement et de son arrivée dans une petite localité piétiste du Sud des États-Unis, il devient le voisin de Roy, jeune homme à peine plus âgé dont il tombe profondément amoureux. Rapidement, l'un et l'autre réalisent leur commune attirance, à cette nuance que Roy peine à assumer pleinement leur passion. Mais les deux garçons doivent affronter la pesanteur des tabous d'une Amérique rurale confite en religion, les ambiguïtés de Roy et le lourd passé de Nathan, poursuivi par un horrible secret familial.

Ce livre de Jim Grimsley, le dernier traduit en français à ce jour, est un délice, sans doute son oeuvre la plus réussie. L'écriture est moins réaliste et plus poétisée que dans les premiers livres traduits de Grimsley. La délicatesse extrême avec laquelle il dépeint les sentiments de Nathan est un pur enchantement, de poésie et de grâce. Il excelle à rendre sensible tous les émois de son personnage principal, à le rendre extrêmement attachant. À aucun moment le livre, malgré son arrière-fond, ne bascule dans la vulgarité ou la facilité. Le chef d'oeuvre que l'on pouvait attendre de Jim Grimsley. »

 

Sur la question de l'adaptation d'un tel livre au cinéma, je voudrais dire deux choses, l'une relative au réalisateur, l'autre à ce que j'ai pu voir du résultat (des petits bouts). J'avais relativement apprécié un film précédent de James Bolton, Eban & Charley, qui se cognait un sujet casse-gueule : une histoire d'amour entre un adolescent de 15 ans et un homme qui en a presque le double (en sachant que le « cas » — on ne peut plus singulier, on dira — contournait la problématique de la pédophilie en mettant en scène un adulte immature et un garçon très mûr). Mais d'un point de vue strictement esthétique, c'était quand même un film limité…

J'attends de voir cette adaptation de Dream Boy avec un brin d'appréhension. Quand on a profondément aimé un livre, on a tendance à exiger une fidélité scrupuleuse d'une adaptation cinématographique. Or c'est un peu un paradoxe, car il n'y a rien à ajouter à un grand livre (et, assurément, c'en est un), et surtout pas une illustration visuelle. L’une des forces du roman est sa peinture extrêmement sensuelle de la nature américaine. Bolton est-il capable de filmer celle-ci  avec la même grâce qu'un John Boorman (Délivrance) ou un Jacob Aaron Estes (Mean Creek) ? Dans le livre, la relation entre Roy et Nathan est très particulière, inégale sur tous les plans (Nathan est une crevette, mais il a un courage qui fait contraste avec la veulerie de son amoureux). Pour ce que j'ai pu en voir, le casting perd complètement le paramètre de l'ascendant physique de Roy. Autre point sensible : le surnaturel joue un rôle trouble (comme dans d'autres romans « sudistes » de Grimsley), tant et si bien que la critique américaine n'a pas aimé la fin très indécise (et étrange) du livre. Pourtant, elle laisse toute sa place à l'imagination du lecteur. Le risque, après cela, est d'avoir édulcoré les contrastes et tout ce qu'il y a de malaisé, bref, ce qui sort le livre de l'ordinaire.

 

Les trois autres livres traduits de Jim Grimsley, Les Oiseaux de l'hiver, L'Enfant des eaux et Confort et joie ont été réédités en poche chez 10-18, mais pas Dream Boy. Est-ce dû à un échec commercial de l’édition grand format ? Ou est-ce parce que les autres se sont mal vendus en poche et que les éditeurs n’ont pas voulu prendre de risque ? Toujours est-il que ce merveilleux roman mériterait de rencontrer de nouveaux lecteurs...

 

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Romans gays pour adultes : mes livres de chevet

Je suis une véritable couleuvre. Je suis allé piocher un certain nombre de mes critiques sur le net parce que je n’avais pas trop le temps d’en écrire dans un court terme de quelques mois.

Ma Deuxième peau d'Erwin Mortier

Ma deuxième peau raconte trois moments dans la jeunesse d’Anton Callewijn, qui est également le narrateur du livre. La première partie, « au temps où je ne savais pas encore parler », est centrée sur la mort de l’« oncle Michel », vieil homme qui vit avec les parents du petit garçon dans leur ferme, « en bas de la digue du canal de Bruges ». La deuxième, de loin la plus consistante, se focalise sur la prime adolescence d’Anton (entre 12 et 14 ans) et son admission à l’« Institut Saint-Joseph de l’Enseignement Désespéré ». Il y fait la connaissance de Willem, destiné à devenir davantage qu’un ami. La troisième partie, la plus brève, relate un unique événement, alors que les deux garçons, devenus un couple, ont 19 ans.
À l’exception d’un dossier dans le cahier livre de Libération, ce livre est largement passé inaperçu au moment de sa sortie. La presse gay n’en a même pas parlé, alors qu’il s’agit de l’une des plus déchirantes histoires d’amour entre garçons qu’il m’ait été donné de lire. Cela tient peut-être au caractère subtil et allusif de l’écriture d’Erwin Mortier: ce sont les gestes, les sensations des personnages qui nous donnent à comprendre leur lien, pas un exposé psychologique. Pas non plus de scène de sexe, pas de bons sentiments, pas de milieu branché, etc. Le livre détonne dans la production d’aujourd’hui. À la place des clichés, ce sont 220 pages de poésie et d’humour, magnifiquement traduites par Marie Hooghe — qui avait obtenu un prix pour la traduction du roman précédente d’E. Mortier, Marcel.
Autrement dit, ce livre est une pure merveille. Moins méchant que Marcel, qui est une satire des petits bourgeois catholiques flamands, mais quand même assez vachard, et d’abord avec Anton lui-même. Immensément sensuel ensuite, notamment pour réinventer les sensations d’un tout petit garçon curieux de tout, ou dire les gestes balbutiants de la puberté. L’écriture est extrêmement stylisée et en même temps jamais lourde ou fastidieuse : il y a une liberté d’expression, une facilité déconcertante à épouser tous les tons, à jouer tous les jeux de la langue, qui est la marque des plus grands écrivains. Le plus étonnant est sans doute la façon très particulière dont Erwin Mortier se joue des thèmes les plus mastocs de la littérature (l’amour, la mort, la mémoire, ce genre de choses) pour les faire vibrer à sa manière, sans aucun grand discours, juste en les faisant résonner dans le prisme chatoyant de sa merveilleuse écriture.
Voir aussi mon analyse de son bref récit, Les Dix Doigts des Jours.
 

L'Île Atlantique de Tony Duvert

À sa parution en 1979, s'il s'est mieux vendu, ce livre n'a pas eu le retentissement de ses livres précédents, notamment Paysage de fantaisie, couronné par le prix Médicis en 1973. Pourtant, la facture de ce roman est bien plus classique. Tony Duvert s'éloigne en apparence des expérimentations audacieuses de ses livres antérieurs et raconte une histoire, de façon assez linéaire en somme.
L'Île du titre est un symbole: elle figure un microcosme, un monde en vase clos, avec ses notables, ses intellectuels, ses épiciers, ses prolos, sa prostituée et, surtout, les rejetons de cette société. Duvert procède à la manière de Dos Passos, circulant d'un personnage à l'autre, changeant régulièrement de point de vue. Il fait des allers et retours entre le monde des enfants et celui des adultes, manifestant pleinement à quel point ils sont hermétiques l'un à l'autre. Le sexe est une composante importante des deux univers, rarement joyeux, le plus souvent marqué du sceau de la prédation.
Chaque saynète donne à l'auteur l'occasion d'exercer ses talents de satiriste génial, qui fait exploser la médiocrité, la perversion ou la brutalité avec une économie de mots absolument stupéfiante. Les dialogues sont particulièrement fascinants: leur vacuité fait penser à Nathalie Sarraute ou Robert Pinget, mais qui se seraient convertis au roman (pseudo)réaliste. Il n'y a pas la moindre trace de gras dans ce livre découpé au bistouri dans lequel chaque mot est disposé au millimètre près. Mais comme Duvert est un artiste éblouissant, on peut parfaitement dévorer son livre comme un thriller inquiétant sans s'arrêter sur la forme parfaite qui le sous-tend. Presque tous les amis auxquels je l'ai fait lire l'ont dans un premier temps dévoré, avant de revenir éventuellement sur l'histoire, les personnages (ah ! Madame Seignelet: la mère la plus affreuse de la littérature française !), la satire, l'art, etc.
L'Île atlantique est un chef d'œuvre, un « poème » au sens des Âmes mortes de Gogol, une synthèse entre réalisme et nouveau roman, un livre tout à la fois facile à lire et d'une richesse infinie. Il est plus que temps que l'on reconnaisse enfin l'un des écrivains français les plus importants du XXe siècle, tombé au purgatoire (au moins) dans les années 1980 du fait de ses positions sur les relations entre adultes et mineurs. À sa décharge, on pourrait ajouter que Tony Duvert n'est ni Roger Peyrefitte ni Gabriel Matzneff: ce n'est pas un chasseur sommé de se justifier, et qui s'invente des raisons hypocrites. Ce n'est pas non plus un chantre de l'enfance ou de l'adolescence, dont il poursuit au contraire les mesquineries et la mauvaise foi. Les jeunes sont chez lui des adultes en devenir, déjà pourris par une forme ou une autre de suffisance sociale. Et lui les traque avec un moralisme qui pourra sembler paradoxal.

Voir aussi mon hommage à Duvert après sa mort.

 

Prends-moi par la main de Sheri Joseph

J'ai acheté ce livre un peu au hasard en 2004. Mais après l'avoir enfin lu, je peux dire que ce fut l'une des plus belles surprises de l'année. L'histoire se passe de nos jours au fin fond de la Georgie, au cœur « Green County », épicentre de l'Amérique puritaine, dans l'un des États les plus conservateurs du Sud des États-Unis. Prends-moi par la main entremêle les destinées de quelques personnes, qui ont un lien plus ou moins fort avec un adolescent sensible et hors-norme, Paul. L'auteur utilise une technique de narration assez particulière: elle épouse successivement le point de vue d'une dizaine de personnages en déroulant globalement l'histoire au fil de ces séquences (sauf que certaines sont des flash-backs). Ainsi, l'auteur passe d'un individu à un autre de chapitre en chapitre, avec des retours en arrière, des portraits singuliers, tandis que l'intrigue principale chemine doucement. On pourrait dire que ce roman ressemble à un puzzle, dont le lecteur apprend à recoller lentement les morceaux. Paul est un garçon de dix-sept ans, blond, fragile et doux. Il est irrésistiblement attiré par les hommes et ne peut pas s'empêcher d'aller les séduire le long des routes de Georgie. Mais Paul est entouré par des adultes qui l'aiment et qui, à défaut de le « remettre dans le droit chemin » (sic), veulent tout faire pour le préserver des terribles menaces qui pèsent sur lui: le SIDA, la police, un lynchage collectif. Mais comment sauver Paul et éviter qu'il ne fugue et se perde? Les personnes qui l'aiment veulent le sauvegarder, le préserver, mais rien n'est plus difficile au pays des red necks. L'histoire est organisée autour de ce suspense, de plus en plus fort de page en page. Maniant une écriture à la fois poétique et juste, ce premier roman de Sheri Joseph est un coup de maître, qui aurait dû trouver son public.

J'ai écrit depuis un article plus développé sur Prends-moi par la main, et un autre sur sa "suite", Stray.

 

 

Navarre.jpgYves Navarre, Le Jardin d’acclimatation

 

Fin des années 70 ou début des années 80, Henri Prouillan, ancien ministre, veuf, septuagénaire, se replonge dans son passé et les tragédies familiales. Peu à peu, les autres membres de la famille émergent: Suzy, la soeur, veuve d'un dramaturge rive droite; Luc, Claire, Sébastien, les enfants devenus grands. Par courts paragraphes, Yves Navarre nous insinue dans leurs pensées, fait surgir leur mémoire. Dès le début du livre, le petit dernier de la famille est dans toutes les pensées, Bertrand. Bertrand va avoir quarante ans. Il est retiré dans la maison de famille, à Moncrabeau. On le voit mener une vie hagarde sous le regard des gardiens du domaine. Vingt ans auparavant, il était le soleil de la famille et ses phrases nourrissaient la vie de chacun au rythme de ses trouvailles. Il était promis aux plus belles réussites scolaires. Entretemps, il s'est passé un double drame. L'épouse d'Henri en est morte. Le livre est un chemin qui nous mène à la compréhension de ces événements révolus.
Jamais Yves Navarre n'a écrit aussi juste, aussi sec que dans ce livre-là. Ce fut un Goncourt justifié (une fois n'est pas coutume). Le portrait de Bertrand Prouillan en jeune homme amoureux d’un autre produit aussi l'un des plus beaux personnages romanesques que je connaisse: je m'y suis attaché comme rarement dans ma vie de lecteur. Les lettres de Bertrand à Romain, un jeune acteur de la troupe de son oncle, situées à la fin du livre, sont le sommet de celui-ci, admirable correspondance imaginaire.
Réédité chez H&O en 2009.

 

Deux garçons, la mer de Jamie O'Neill

Entre Joyce et Balzac (quel grand écart !), Jamie O'Neill nous plonge le nez dans l'Irlande Catholique de la première guerre mondiale, partagée entre fidélité à la couronne et tentation républicaine. Chaque page est un cadeau au lecteur. Avec une patience et une minutie sans équivalent, l'auteur nous fait assister à l'avènement de Jim, beau garçon en quête d'absolu. Entre son amour de toujours, le truculent Doyler, et MacMurrough, l'initiateur cynique et débauché, il va s'ouvrir à la vie comme une fleur miraculeuse et improbable. Aucun personnage du livre n'est traité avec mesquinerie, même les plus réprouvables à nos yeux d'aujourd'hui. Il n'est pas besoin de connaître l'histoire de l'Irlande, car on suit sans difficultés cette tragédie qui n'est jamais là où on l'imagine. L'histoire déroule son fil, allant d'un personnage à l'autre, de scène en scène, de l'intime au cinémascope. Jamie O'Neill semble d'ailleurs s'inspirer d'une technique cinématographique dans sa façon de raconter l'Irlande de 1915. Mais il peut aussi dérouler des monologues intérieurs qui rappellent un autre lignage (celui de Joyce).
Bref, Jamie O'Neill est un écrivain de très grand talent, l'un des rares à éviter les ornières du roman historique. Je ne vois guère que La mort du Vazir-Moukhtar de Iouri Tynianov, comme équivalent dans la littérature européenne.

 

Dream Boy  de Jim GrimsleyGrimsley.jpg

Nathan est un adolescent ballotté de maison en maison par ses parents, fuyant un lourd et pesant secret dont il est la victime. À l'occasion d'un énième déménagement et de son arrivée dans une petite localité piétiste du Sud des États-Unis, il devient le voisin de Roy, jeune homme à peine plus âgé dont il tombe profondément amoureux. Rapidement, l'un et l'autre réalisent leur commune attirance, à cette nuance que Roy peine à assumer pleinement leur passion. Mais les deux garçons doivent affronter la pesanteur des tabous d'une Amérique rurale confite en religion, les ambiguïtés de Roy et le lourd passé de Nathan, poursuivi par un horrible secret familial, après. Ce livre de Jim Grimsley, le dernier traduit en français à ce jour, est un délice, sans doute son oeuvre la plus réussie. L'écriture est moins réaliste et plus poétisée que dans les premiers livres traduits de Grimsley. La délicatesse extrême avec laquelle il dépeint les sentiments de Nathan est un pur enchantement, de poésie et de grâce. Il excelle à rendre sensible tous les émois de son personnage principal, à le rendre extrêmement attachant. À aucun moment le livre, malgré son arrière-fond, ne bascule dans la vulgarité ou la facilité. Le chef d'oeuvre que l'on pouvait attendre de Jim Grimsley.

 

Patrick Gale, Chronique d’un été

À ceux qui souhaiteraient se plonger dans ce magnifique roman, je déconseille de lire la 4ème de couverture de l'édition de poche. En effet, « Chronique d'un été » est presque un thriller, dont le mystère est un peu éventé par le résumé. Sans être un livre à énigme façon Agatha Christie, l'auteur en pastiche les procédés et se joue de nous. Patrick Gale aime les histoires compliquées, mêlant plusieurs récits, plusieurs époques, et les entrelaçant finalement, sans que pour autant la fin soit synonyme d'explication, comme c'est le cas chez les vieilles romancières anglaises...
Pour raconter quoi ? L'histoire de deux garçons, Julian, onze ans, qui part en vacances avec ses parents, et Will, quadragénaire gay, heureux propriétaire d'une librairie à succès. Chapitre après chapitre, la narration passe de l'un à l'autre, racontant en parallèle deux histoires de famille. Le procédé pourrait être fastidieux si l'auteur n'avait cet incroyable génie des petits détails subtils, doublé d'une grande drôlerie, et d'un don de poésie jamais galvaudé. Le résultat est un régal de tous les instants, le genre de livre qu'on a un mal de chien à abandonner, ne serait-ce que provisoirement. En outre, Patrick Gale sait exprimer ce je-ne-sais-quoi de vertigineux qui étreint un être quand l'amour lui tombe dessus. On retrouve d’ailleurs certains personnages du précédent roman de Gale traduit en français, L'aérodynamique du porc. À la différence de la série des Barbary Lane d'Armistead Maupin, Chronique d'un été est bien plus que ce que son titre (français) n’indique: un authentique roman, écrit, sensible, d'une grande subtilité. Un humour pince sans rire, typiquement old english, en moire les meilleures pages. Rien, finalement, d'énorme ou de télégénique dans tout cela, mais un excellent roman que l'on referme avec la nostalgie de ne plus l'avoir devant soi.

 

 

Éric Jourdan, Les Mauvais Anges, 1957

rééd. La Musardine 2005.

 

Le ciel était d'un bleu royal, d'une grandeur calme. Voilà comment débute ce livre aux métaphores fulgurantes. C'est le plus poétique d'Éric Jourdan, peut-être pas le plus achevé: il l'a écrit, paraît-il, à dix-sept ans. Je l'ai lu il y a bien longtemps (vingt-deux ans), quand j'avais l'âge des héros et de l'auteur: c'est celui où il faut le lire en priorité. Les Mauvais anges est tout à la fois une oeuvre d'une poésie incandescente et un livre de jeunesse violent, cruel, nietzschéen, qui fait l'apologie jusqu'à la nausée des jeunes hommes beaux et forts. Le mélange des deux crée un peu le malaise. Ce n'est pas toujours la fête dans ce grand livre maudit des années 1950. Mais il y a aussi ces pages sublimes:
« L'ombre envahit la chambre. J'en fus ébloui; mille clartés pétillaient encore sous mes paupières un instant plus tard quand le losange de la fenêtre se découpa sous le ciseau de la lune. Gérard m'avait pris la tête dans ses mains et me baisait la joue avec une tendresse d'enfant maternel. Il m'avait adopté ; le bonheur m'endormit » (fin du chapitre II). Un grand don que l'auteur a hélas si souvent galvaudé par la suite...

 

Depuis, il m'aurait fallu rajouter :

André Aciman, Plus tard ou jamais, éditions de l’Olivier, 2008.

Peter Cameron, Un Jour cette douleur te servira, Rivages, 2008.

Julia Glass, Jours de juin, Éditions des 2 terres, 2006.

Sans parler de tous ceux que je n'ai jamais trouvé le temps de chroniquer...

Si l'un de ces livres vous fait envie, il y a moyen notamment de les retrouver sur la liste que j'ai constituée sur Amazon.

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