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Faux-culs ou : le site Choisir un livre est une imposture

Oui, je suis grossier, c'est fait exprès, et vous allez vite comprendre pourquoi...
J'ai lu ce matin sur le blog de Blandine Longre un post remontant au 14 novembre, intitulé « De la critique ». Elle y évoque un site intitulé www.choisir un livre.com dont elle extrait plusieurs critiques de très haut vol. Alertée, elle a été regarder comment ils parlaient d'un certain nombre de livres pour la jeunesse qu'elle connaît bien. Vous trouverez ses conclusions sur la page indiquée ci-dessus. Comme je sentais qu'il y avait des choses à explorer, j'y suis allé voir à mon tour.
J'ai utilisé leur moteur de recherche pour voir s'ils indexaient la catégorie « homosexualité ». Oui, elle s'y trouve : 12 entrées. Sachant qu'ils notent entre 0 et 3+ (c'est-à-dire 4, note maximale), la moyenne générale des 12 ouvrages est 9/12 = 0,75. Bref, les ouvrages qui parlent de ce sujet sont particulièrement médiocres ! Parmi ceux-ci, 5 livres obtiennent un zéro : Je me marierai avec Anna de Thierry Lenain, La Vie comme Elva de Jean-Paul Nozière, Macaron citron de Claire Mazard, Point de côté d'Anne Percin et Sweet Homme de Didier Jean et Zad. Rien que des livres indignes ! Personnellement, je considère qu'ils font tous honneur à la littérature jeunesse, mais je dois être mauvais juge. À mort l'innocent d'Oskar Ténor et C'était mon ami d'Anneke Scholtens obtiennent un brillant 2, soit la note maximale pour un livre évoquant l'homosexualité.
Le compte rendu de C'était mon ami est un chef d'oeuvre, dont voici un extrait  :

Mais sous des aspects insouciants, ces ados sont beaucoup plus compliqués qu’ils n'en ont l’air et le héros de l’histoire se bat contre un passé que lui renvoie la mort de son ami. C’est finalement la simplicité et la spontanéité de sa petite amie qui vont l’aider à exprimer ses sentiments : non, il ne doit pas avoir honte des bons moments partagés avec ce garçon, amitié intense et homosexualité ne sont pas forcément incompatibles ; non, il ne doit pas culpabiliser d’avoir rejeté brutalement son ami, à 15 ans, quand on découvre son corps et les émotions physiques, les choses ne sont pas si limpides.

Je n'ai peut-être pas compris quelque chose, mais il me semble que « FW », auteur de ce commentaire, écrit noir sur blanc que le héros « ne doit pas culpabiliser d'avoir rejeté son ami (homosexuel) ». Je passe sur la transformation de personnages fictifs en êtres vivants pour ne garder que le message décomplexé...
À propos de La vie comme Elva de jean-Paul Nozière, le commentaire est particulièrement bref :

Construit autour de deux idées maîtresses, la lutte des classes et le saphisme (homosexualité féminine), ce roman engagé suit une progression équilibrée, dans l'alternance de l'action et de la montée en puissance des sentiments. Un roman qui s’adresse, selon l’éditeur, aux jeunes de 14 ans et plus... (Auteur : CHB)

En apparence, rien de négatif n'est dit. Mais si l'on se souvient que le livre a obtenu un 0, le caractère sibyllin prend un autre relief : il s'agit en fait de signaler les contenus déviants du livre « la lutte des classes et le saphisme », dont les lecteurs « amis » savent bien qu'ils sont très appréciés par le comité de lecture du site... Le processus de signalement ou d'outing fonctionne aussi pour d'autres livres. Ainsi Foot foot foot de Denis Lachaud, dont rien n'indique à priori qu'il contient une thématique homo, se voit adjuger une étoile (=1). Le commentaire est relativement patelin, mais comme le livre touche une tranche d'âge jeune, sa présence tient surtout à la thématique qu'il s'agit de démasquer :

L’auteur utilise la première personne pour permettre à Johann de nous raconter son univers : sa passion du football, ses réflexions sur son frère, adolescent ne posant jamais sa console de jeux et son entourage affectif. La maman de Johann vit avec Carolyn et Eric et Stéphane sont leurs amis les plus proches. Il se pose donc des questions face à l’homosexualité et son propre devenir. L’auteur utilise un style très familier, parfois grossier, pour traduire le langage de ce jeune garçon. Les illustrations en noir et blanc sont un agréable complément de l’histoire. (Auteur : SD)

L'enjeu est de taille. La disqualification du livre passe par une rhétorique (ultra fréquente sur ce site) de dénonciation de la grossièreté. Comme dans les pays anglo-saxons, la stigmatisation des gros mots est une arme pour cibler un contenu répréhensible. Il en va de même pour les commentaires sur Point de côté : « Ce récit à la première personne rédigé dans un style familier exprime tout le malaise de cet adolescent blessé. » Idem pour Sweet homme : « Bien écrit, malgré un langage parfois familier dans les dialogues, il vise à donner au lecteur le sentiment que cette façon d'être est une fatalité à laquelle on n'échappe pas ». On notera que les phrases agrègent souvent dans un même mouvement dénonciation et compassion. Le héros de Point de côté est « un adolescent blessé », l'ami homosexuel suicidé dans C'était mon ami a droit à des torrents de commisération. Les auteurs (anonymes) de ces douze critiques débordent littéralement de charité.
On en aura le témoignage le plus évident dans le commentaire (par « GF ») de Macaron citron :

Et, accessoirement peut-être, faut-il préciser que l'amour enflammée (sic!) de Colline est une autre fille...

Incroyable ! ni la mère, ni le père, ni la grand-mère, ni le frère ne semblent surpris de cet amour. Tout semble normal : "ton bonheur, c'est ce que je souhaite le plus au monde", répond la maman en apprenant la nouvelle. Pas la moindre discussion, pas la moindre prise de recul... Le sujet est trop lourd, trop grave pour qu'on fasse croire qu'il ne soulève aucun problème. Cela frise l'irrespect de ceux qui vivent ce genre de situation.

Non mais vous rendez-vous compte ? Claire Mazard est irrespectueuse envers ces malheureux parents qui prennent en pleine face l'homosexualité de leurs enfants. Et on ne prendrait pas assez en compte leur chagrin, leur désarroi de parents, devant ce « douloureux problème » ??!! « CHB » quant à lui (ou elle) joue plutôt sur le registre de l'ironie  :

Un roman sensible traitant de la banalisation de l'homosexualité. [...] il vise à donner au lecteur le sentiment que cette façon d'être est une fatalité à laquelle on n'échappe pas. Une fois passé le stade instable et difficile de l'adolescence, il faut savoir assumer sa différence au grand jour ! Un plaidoyer d'autant plus engageant que le livre est agréable à lire, malgré les clichés sur les parents incompréhensifs et le directeur du collège plutôt encourageant...

Ce paragraphe est d'autant plus redoutable qu'il pourrait être lu au premier degré si l'on oublie la note reçue par le livre (0) et le caractère auto-reverse de certaine formulation, comme « la banalisation de l'homosexualité », « il faut savoir assumer sa différence au grand jour », « un plaidoyer... engageant ». Ce n'est pas non plus de l'ironie de haut vol, plutôt un discours qui assume une réception en connivence par un groupe d'initiés.
Tout ceci étant évoqué, j'en arrive donc à ce qui était le but de mon post, dans le sillage de celui de Blandine. On a affaire sur ce site à un groupe de « Parents, bibliothécaires, enseignants, près de 30 personnes toutes actives auprès des enfants. Les comités de lecture sont présents en province et à Paris. » Trente courageux anonymes qui ne nous disent à aucun moment s'ils font (ou non) partie d'une mouvance catholique traditionaliste, s'ils ont des opinions politiques ou sociales qui les uniraient dans un projet commun. On ne saura jamais non plus pourquoi ils font la promotion des éditions du Triomphe, une officine nostalgique de l'enfance d'hier et admiratrice de Jean-Paul II. Je vous conseille d'aller y voir par vous-mêmes : www.editionsdutriomphe.fr (j'ai cassé le lien pour ne pas leur faire de pub, mais il suffit de le recopier sur un navigateur).
Sans doute sont-ils anonymes par abnégation. Sans doute ne disent-ils pas davantage qui ils sont parce qu'ils sont porteurs de la Vérité, et qu'il n'est pas besoin de le dire pour la saisir.
Je pense qu'après présentation de toutes ces pièces à conviction, vous aurez compris le sens de mon titre et sa grossièreté. L'homophobie n'a pas toujours un visage écumant de haine. Elle peut prendre les traits de « trente personnes actives auprès des enfants », dont pas un mot ne dépasse l'autre, et dont les préjugés sont dissimulés sous les aspects d'une charité qui se prétend chrétienne. Il m'apparaît pourtant que ces personnes sont engagées dans un combat sectaire, rétrograde et pernicieux. J'ai examiné ce site avec ma petite lorgnette personnelle. Je pense qu'elle éclaire quand même un certain nombre d'enjeux qui dépassent la question particulière de la figuration de l'homosexualité.
Vous trouverez d'autres exemples de critiques édifiantes rédigées par la rédaction de choisir un livre sur le blog de Vincent Cuvellier en date du 13 novembre 2007 (il faut un peu chercher sur la page).
Où l'on découvre qu'ils vénèrent les niaiseries sans nom et tout ce qui sent la droite extrême...
Comme disait Voltaire, il ne faut jamais oublier la nécessité d'« écraser l'infâme » !

 

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Au fil du web

Tenir un blog (ou un site) procure parfois de vrais bonheurs. C'est grâce au premier que j'ai créé (à la glorieuse époque de Myspace) que j'ai fait la connaissance (virtuelle) d'Erwin Mortier, l'un de mes écrivains préférés. Depuis, nous échangeons par intermittence. C'est aussi par cette entremise (et grâce à Anne Percin) que j'ai rencontré Blandine Longre, traductrice et critique en littérature jeunesse. Elle propose un site (signalé parmi mes liens) très bien informé (notamment sur le monde anglo-saxon, mais pas seulement) et très fourni. Elle a publié récemment deux posts intitulés "littérature et (tentatives de) censure" (la partie 2 est ici) que je vous recommande.

Elle y évoque surtout les offensives de la droite religieuse américaine contre les mots grossiers, les sujets prohibés et tout ce qui pourrait corrompre la jeunesse. C'est un sujet que j'ai pour ma part déjà effleuré ici et là, parce que je suis toujours effaré en lisant la newsletter ou les dossiers idoines de la revue The Advocate. Mais les deux posts en question fournissent, eux, des éléments circonstanciés. La lutte contre la "promotion de l'homosexualité" auprès des enfants est en effet l'un des principaux combats des bigots US. Dans l'un des posts, Blandine Longre évoque un cas bien français : lors de la publication du joli Jean a deux mamans d'Ophélie Texier, Edwige Antier, la "fameuse" pédopsy que tous les médias s'arrachent, a mené une campagne de presse "à l'américaine". Vous pouvez en trouver l'écho (grâce à Blandine, donc).

Un de ces jours, je commenterai les propos tenus à cette occasion parce que j'en ai assez des pseudo-arguments "objectifs" par lesquels les religieux homophobes prétendent s'opposer à la publication de livres pour enfants qui parlent d'homosexualité ou d'homophobie.

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Child of my Right Hand d'Eric Goodman

Eric Goodman, Child of my Right Hand, Naperville, Illinois, Sourcebooks Landmark, 2004.

 

Child of my Right Hand est un roman à la fois drôle et peu amène sur un couple d’universitaires américains qui doivent accompagner l’affirmation de leur fils de 17 ans, homo, très enveloppé, et un tantinet caractériel. La famille Barish a quatre membres : Genna, la mère, petite femme boulotte, spécialiste de littérature romane ; Jack, le père, qui fait dans les science studies, ancien footballeur et véritable armoire à glace ; Lizza, quatorze ans, belle gamine élancée très indépendante, et Simon, donc, mastodonte à la voix prodigieuse, en échec scolaire, traité de « faggot » (pédé) partout où il passe.

La narration épouse successivement le point de vue du père, de la mère et de Simon, en laissant délibérément de côté Lizzie, qui reste toujours la dernière roue du carrosse. Les parents Barish enseignent à Tipton university, un établissement de l’Ohio, au cœur de l’Amérique red-neck, populaire et traditionaliste. Pendant de nombreuses années, ils ont fait la navette avec la capitale de l’État, Cincinatti, où ils vivaient afin de préserver leurs enfants du climat « small town » de leur lieu de travail. Le roman commence alors qu’ils ont fini par déménager à Tipton.

Le livre développe trois fils étroitement imbriqués : les difficultés sociales d’un adolescent à la fois hors-norme à tous points de vue (gay, gros, chanteur surdoué) et on-ne-peut-plus ordinaire (l’école l’ennuie, ses pulsions sexuelles le travaillent violemment, son père l’horripile) ; les hauts et les bas d’un couple de quadragénaires ; le sentiment d’insécurité grandissant que l’Amérique réac génère chez ceux qui ne lui ressemblent pas. Une riche galerie de personnages secondaires vient progressivement peupler l’univers des Barish : natifs pas forcément étroits d’esprit, aventures de Simon et de son père, membres de la famille. L’ensemble est extrêmement nuancé. Eric Goodman est un peintre plutôt subtil de l’Amérique ordinaire, dont il fait ressortir avec une intelligence quasiment sociologique les atavismes et les contradictions.

L’uns des aspects les plus intéressants du livre est son travail sur la langue des trois personnages principaux, très orale, faite de tournures répétitives, d’hésitations. Chacun à leur manière, Jack, Genna et Simon avancent à tâtons dans un univers instable où leurs certitudes sur eux-mêmes se délitent, au contact d’un environnement imprévisible. Ce n’est pas un petit mérite que d’avoir réussi à exprimer cela dans la façon dont ils parlent.

Le coming outdu fils survient au tout début du roman. L’homophobie est présente tout au long du livre. À chaque fois qu’elle semble refoulée et en échec, c’est pour ressurgir encore plus pesamment. À ce titre, l’auteur semble ne pas partager l’optimisme que l’on trouve dans nombre d’ouvrages de fiction made in USA. Ce n’est de toutes façons pas un livre pour la jeunesse, et la noirceur du propos, bien que dissimulée, est tout à fait saisissante. Pour autant, jusqu’à la fin, le lecteur serait bien en peine d’imaginer comment l’histoire va tourner. De ce fait, je ne suis pas du tout d’accord avec les critiques qui ont qualifié le livre de “comic tragedy”, parce qu’il n’y a aucun mécanisme tragique. Rien n’est joué à l’avance, et ce jusqu’à la dernière page. Il n’y a pas de fatalité, de la même façon que Jack renonce, peu à peu, dans ses spéculations universitaires, à l’idée d’un gêne homosexuel.

En revanche, le livre est effectivement souvent drôle : comique de situation la plupart du temps, ou fondé sur des réparties burlesques. Et quand le ressort n’en est pas direct, plane un humour amer, assez fidèle au personnage de Genna Barish. Nombre de personnages secondaires (comme le professeur de chant ou certains voisins) sont assez croquignolets. La description d’une campagne pour un référendum d’initiative populaire (il s’agit d’augmenter ou non les impôts locaux pour améliorer le financement de l’éducation à Tipton) permet à Eric Goodman d’exprimer toute l’intelligence de sa peinture sociale. Pour autant, le roman n’est jamais didactique ou documentaire : sa dimension descriptive est toujours insérée dans la trame narrative ou dans des dialogues. Grâce à un sens accusé de l’effet de réel, il suffit d’un détail pour suggérer bien des choses (à condition de connaître le contexte américain).

Bref, comme roman social vif et juste, Child of my Right Hand est une réussite. Je n’irais pas dire que c’est un chef d’œuvre de littérature, mais je ne pense pas que ce soit le propos.

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"Les Habitués de l'aube" de Sylvie Massicotte

Sylvie Massicotte, Les Habitués de l’aube, Les éditions de la courte échelle, « roman+ », 1997.


sylvie-massicotte-copie-1.jpg    Je n’avais jamais entendu parler de Sylvie Massicotte, avant que mon collègue du blog « Cultures et débats » ne signale ce roman. C’est une auteure canadienne qui a déjà publié de nombreux romans et nouvelles. J’ai beaucoup aimé Les Habitués de l’aube même si la mise en page du livre est un peu rebutante : pages blanches comme des intercalaires, pavé de texte avec des marges ridiculement réduites, composition mal fichue. 

L’héroïne du livre en est la narratrice. Le point de vue est tellement subjectif, tellement enraciné dans son regard qu’on ne saura ni comment elle s’appelle, ni où elle vit, ni exactement quel âge elle a. Pour autant, ça ne crée jamais de difficultés. Le lecteur n’est pas désorienté. Je ferais l’hypothèse que l’auteur a fait ce choix pour au moins deux raisons. D’une part, cela plonge le lecteur dans le monde de son héroïne sans mise à distance, lui fait épouser au plus près les tâtons du personnage. D’autre part, cela confère au roman une portée universelle, débarrassée d’éléments contextuels qui viendrait situer l’histoire dans le temps et l’espace. Il y a néanmoins un léger accent québécois dans certaines tournures, mais on est loin de tout pittoresque. J’imagine qu’à l’instar d’un Robert Lalonde, Sylvie Massicotte a dû travailler à neutraliser autant que possible les particularismes de sa langue. 


    Il s’agit donc d’une histoire très épurée, racontée par chapitres brefs, voire extrêmement courts (certains font deux pages). Il y a une âpreté, une sécheresse, qui sont à l’image de l’héroïne, une fille au caractère tranchant, aux sentiments intenses, mais taiseuse et incisive en même temps. Par l’accumulation de réflexions, de formules lapidaires, sa personnalité émerge vigoureusement au fur et à mesure que l’on avance dans le livre. Cette façon de procéder me semble très bien fonctionner. Rares sont les caractères dans la littérature pour ados qui prennent autant d’épaisseur et de nuances, sans le moindre blabla psychologique. 

Ainsi donc, quand l’histoire commence, c’est l’été et son oncle est venu lui proposer de passer dix jours dans sa maison auprès du lac. Elle reste sur une rupture douloureuse avec son petit ami, Laurier. Ses parents ont fait un nouvel enfant sur le tard, un Léo qui doit avoir entre un et deux ans. Elle s’occupe de lui avec une tendresse bourrue. Néanmoins, elle accepte l’offre qui lui est faite, car elle est très complice avec son cousin Antoine, et c’est l’occasion de passer quelque temps à la campagne.

Sa tante est dans un asile psychiatrique. L’oncle, assez perturbé, est souvent absent. Elle fait connaissance des amis de son cousin : Guillaume, un garçon ordinaire, immédiatement séduit, Olivia, la rivale, Camille, beaucoup plus sympathique. Et Marc-André… 

Antoine, déjà installé à la table de pique-nique. Antoine, oui, mais le gars assis en face de lui… Beau, un vrai dieu ! Je cherche quoi dire… « Il fait beau », c’est tout ce qui me vient, j’appuie sur le mot beau. Je n’arrive pas à porter mon attention ailleurs que sur lui. Sa petite fossette au menton qui apparaît et disparaît pendant qu’il mange. Son regard sur moi, difficile à définir. Je suis sûre qu’il connaît la peine, lui aussi, qu’il comprend tout.

Il a de longs cils, comme Laurier… L’épaisseur de ses sourcils lui donne l’air un peu triste. Une touche sombre autour des grands yeux clairs, l’obscurité et la clarté en un seul visage. (p. 20-21)

Marc-André, c’est « le voisin », un musicien, très proche d’Antoine. L’héroïne, elle, est saxophoniste. Lors d’une soirée sur la plage avec les amis de son frère, ils jouent tous les deux et un lien s’établit.

Le cri de mon instrument monte dans la nuit. Il s’élève avec la fumée, jusqu’aux étoiles. Camille est une étoile. J’accueille avec elle le son qui paraît lentement se dédoubler. Je détourne la tête en ne cessant pas de jouer. C’est Marc-André qui me rejoint avec son saxophone dans lequel il raconte l’histoire, notre histoire à nous, à mesure qu’il bouge dans son chandail à gros cables de laine. J’aimerais m’y blottir…

Ma musique se vautre dans la sienne. Les étoiles semblent s’être décrochées du ciel. Elles scintillent là, tout autour, dans les yeux de Camille et d’Antoine, elles se mêlent aux flammèches que me lance Olivia.

Un silence, un soupir, comme on dit en solfège. Les autres applaudissent, mais, tous les deux, nous savons que la pièce n’est pas terminée. On reprend là où on s’est arrêtés. Marc-André se rapproche de moi en jouant. Son visage à demi éclairé par les flammes, son visage qui m’apparaît si maigre soudain. (p. 46-47)

La passion de l’héroïne pour Marc-André ne cesse de croître à mesure que l’histoire avance. Le lecteur, soumis à son point de vue, peut s’y abandonner ou trouver certains détails surprenants. Ainsi, l’oncle énonce-t-il platement à propos de Marc-André vis-à-vis de son propre fils : « C’est son ami ». Elle-même trouve que c’est « un garçon bizarre », qui peut faire la sieste dans un champ de fleurs. Antoine a fait de nombreux dessins de lui. Comme toujours, elle taquine son cousin en l’appelant « P’tite nature ». Au milieu de l’histoire, Marc-André s’efface, disparaît dans sa maison. L’héroïne se console en fréquentant vaguement avec Guillaume, sans élan. Marc-André est malade, on ne saura jamais de quoi. Il faudra une échappée sur le ponton pour qu’elle comprenne enfin ce qu’elle refusait de voir…

Les Habitués de l’aube est l’histoire d’un aveuglement qui peu à peu se défait. Ce faisant, le roman se tient au plus près des émotions d’une jeune fille, et c’est sans doute l’une de ses principales qualités. Le double jeu entre ce que l’héroïne voit et ce que l’on peut (ou non) deviner, est plutôt subtil. À aucun moment l’auteur ne ridiculise son personnage, ni ne suscite une connivence avec le lecteur averti, et c’est tant mieux. Elle n’hésite pas non plus à exprimer la colère de son héroïne, et la férocité que sa découverte suscite en elle dans un premier temps. Elle évoque aussi, et avec beaucoup de tact, le déni de l’oncle — qui sait parfaitement qui son fils aime, mais refuse de l’accepter pleinement.

En somme, et sans la moindre lourdeur, Sylvie Massicotte réussit à dire beaucoup de choses sur « l’amour au masculin pluriel » (Romain Didier) du point de vue d’une jeune fille hétérosexuelle. Certains passages distillent une poésie discrète, parfois un rien convenue, mais plutôt agréable. En revanche, la langue d’ensemble est résolument celle d’une jeune fille, pas vraiment policée, parfois choquante (pour un temps), à la nervosité travaillée. Je trouve que l’ensemble est une vraie réussite.

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"L'Amour en chaussettes" de Gudule

Gudule, L'Amour en chaussettes, éditions Thierry Magnier, 1999.

Une histoire de fille amoureuse de son professeur. Delphine est en troisième. Elle tient un journal, qui dure le temps d'un printemps. Cela commence de manière très instantanée, dans un style frontal assez typique de la dame Gudule : 

Cette nuit, j'ai rêvé de monsieur Letellier. Pfou ! J'en suis encore chamboulée... C'est sa faute, aussi. Est-ce qu'il avait besoin de venir nous parler de préservatifs ! (page 7)

La scène inaugurale, donc, c’est un cours de dessin qui se transforme en séance d’éducation sexuelle. Message impeccable, dialogue avec la classe, geste de théâtre : le beau professeur enfile une capote sur le pied d’une chaise. C’est le début d’une passion adolescente, lancinante. Delphine tombe en amour. Il faut dire : 

Letellier, y a pas plus sympa comme prof, au bahut. Toutes les filles en sont folles, parce qu’en plus il est super beau. Style Mulder dans X-Files. Et quand il sourit, il a les yeux tristes… (page 7)

La grande copine de Delphine, Gaëlle, ne rate pas une occasion de la conforter dans son béguin. Et puis il y a Arthur, « le grand nunuche » de la classe, qui a la douloureuse particularité d’être bègue. Il est plutôt aimé par ses camarades, mais ils se moquent pas mal de lui. Arthur en pince pour Delphine. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, s’il n’y avait pas « la mère Éloy », une « vieille vache » prof de français, qui pourrit la vie à coups d’heures de colle.
    L’histoire se déroule peu à peu. Delphine sort le grand jeu pour déclarer ses sentiments à « Joël » ou « Jo » Letellier. Et là, elle tombe sur un os. Les bonnes raisons se suivent : M. Letellier ne veut pas, ce serait un détournement de mineur, etc. En plus, il a le bon goût de faire ça à la façon d’un adulte, sous forme de sermon. Aiguillonnée par Gaëlle, Delphine y revient quand même, jusqu’à la révélation ultime qui ruinera définitivement ses espoirs. Alors, elle ira se réconforter dans les bras d’un garçon de son âge…
    Je n’ai pas lu un grand nombre de livres de la prolifique Gudule. Il n’y a pas beaucoup de sujets qu’elle n’a pas « traités ». Ici donc : l’amour pour un adulte, la « première fois », l’aveuglement. En revanche, l’homosexualité n’est qu’un accessoire mineur. C’est plein de sentiments politiquement corrects : il faut être gentil avec les bègues, ne pas écouter les conseils foireux des bonnes copines, et mettre un préservatif quand on fait l’amour pour la première fois
    Paradoxalement, je trouve que l’histoire du béguin de Delphine pour Jo comporte nombre d’invraisemblances, ce qui est gênant pour un roman réaliste. La langue « djeune » n’a strictement aucun relief. Le seul moment que je trouve vraiment convaincant est la description de la première expérience sexuelle de Delphine. L’auteur a su décrire à la fois crûment et sans ostentation des sensations, sans autocensure mais sans trash non plus. C’est à peu près le seul passage que je n’ai pas trouvé convenu. Le reste n’est pas désagréable, certes, mais sans cette petite musique qui rend un livre singulier. Dans le genre chronique collégienne, je préfère nettement Qui Suis-je ? de Thomas Gornet.

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