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Jours de juin de Julia Glass

Julia Glass, Jours de juin [tr. fr. : Anne Damour], Éditions des 2 terres, 2006 ; rééd. Le Seuil, « Points roman », 2008.

 

Ce roman dodu (655 pages) raconte au principal le destin de deux générations de Mac Leod, une famille écossaise assez peu clanique et hétérogène, de l’après-guerre à 1999. Trois épisodes se succèdent, toujours en juin (d’où le titre, Three Junes) : « Collies » (1989), « Droit » (1995) et « Les garçons » (1999). Si chacun est centré sur un personnage et a un ancrage géographique particulier, de nombreuses réminiscences font déborder la narration vers des moments et des lieux autres. L’histoire ne suit pas un fil strictement linéaire, mais le roman est neanmoins solidement réaliste, avec une belle galerie de personnages, un arrière-plan historique bien établi, un amour discret pour les paysages, etc. Mis à part quelques détails formels, la facture du livre est très classique, avec une prédilection pour les interactions humaines et les émotions, que Julia Glass donne à voir avec un tact et une subtilité qui sont l’un des intérêts principaux de la fresque. L’ensemble est d’une très grande cohérence, même si l’auteure s’est ingéniée à le transformer en un puzzle dont les pièces ont été éparpillées et réassemblées. Elle partage avec le lecteur attentif une vision globale qui échappe complètement à ses personnages, prisonniers d’un « ici et maintenant » opaque comme peut l’être chaque moment d’une existence.

 

Paul MacLeod est l’héritier d’une famille de journalistes, tenant les rênes du quotidien Yeoman de Dumfries-Galloway (au Sud-Ouest de l’Écosse). À son retour de la guerre, il a repris l’entreprise familiale et s’est marié avec Maureen, une jeune femme indépendante d’origine plus modeste. Ils ont eu trois enfants, Fenno, David et Brian (au début des années 1950). Maureen s’est lancée dans l’élevage des collies (des chiens de berger), suivant là une passion singulière et traçant son propre sillon. Les enfants ont été élevés à la Britannique (avec nanny, pension…). L’aîné est parti à New York au début des années 1980 pour faire une thèse et n’est pas revenu. Les cadets sont devenus vétérinaire pour l’un (fidèle à l’Écosse méridionale) et cuisinier pour l’autre (marié à une française et expatrié). Le premier épisode a lieu après le décès de Maureen (d’un cancer des poumons) et suit Paul au fil d’un périple dans les Îles Grecques, sa rencontre avec un ailleurs incarné dans une poignée de personnages, dont Fern, une jeune peintre Américaine. Le second se déroule sept ans plus tard, dans la maison familiale de Tealing, dans des circonstances exceptionnelles et tendues. Le dernier retrouve Fern invitée par un ancien amant, Tony (qui fut aussi celui de Fenno), dans la maison d’un inconnu à Amagansett (sur la presqu’île de Long Island, banlieue chic de New York).

 

Fenno, fils aîné de Paul et Maureen, polarise l’ensemble. À défaut d’être le héros du roman dans un sens conventionnel, il est à tout le moins le personnage de prédilection de Julia Glass : narrateur de la partie la plus volumineuse du livre (la deuxième, son plat de résistance, qui occupe les 3/5e du volume). Dans une interview en ligne, elle compare d’ailleurs son livre à un triptyque religieux, l’image centrale jouant un rôle essentiel (facial) tandis que les pièces de côté donnent une vue de profil. Fenno est le seul personnage à dire « je » : les première et troisième parties, centrées sur Paul Mac Leod (son père) et Fern (son double féminin ?), sont racontées à la troisième personne. Le titre anglais Upright a été traduit un peu cursivement par « Droit », qu’il faut comprendre dans un sens postural (se tenir droit, ou avoir la droiture comme caractéristique morale). De fait, il s’agit de l’un des trais récurrents que Julia Glass prête à son personnage. Par de patientes touches et notations éparses, elle a dessiné la complexe psychè d’un homme dont l’existence repose sur des principes sévères, érigés pour pallier le peu de compréhension qu’il a de lui-même. Avec une virtuosité discrète, elle suggère un décalage constant entre les aspirations de Fenno (à l’autonomie, au contrôle, à la décision) et la façon dont il est concrètement agi, manipulé, mobilisé par ses entourages successifs. Il y a quelque chose de touchant, mais aussi de profondément attachant dans cette figure de « gay new-yorkais » à la fois conforme (par sa situation sociale) et hors norme (par le fil de son existence).

On pourrait également dire que Jours de juin est une saga familiale, au sens où elle montre un individu (Fenno, donc) qui assiste à la construction progressive, autour de lui, d'une famille symbolique, laquelle mélange largement matrice biologique, rencontres faussement hasardeuses et affinités gémellaires (ainsi Julia Glass fait subtilement converger ses deux personnages aux prénoms voisins, sans jamais forcer le trait ou les analogies). Leur rencontre dans le troisième volet est un désir de lecteur (une sorte de partie surprise) avec lequel l’auteure s’amuse, suivant des chemins qui échappent aux protagonistes eux-mêmes.

 

Cette lecture a déjà deux mois (ça date de juin !), et le souvenir en est singulièrement épuré. J'en garde un souvenir fort agréable, même si les romans psychologiques (même behavioristes* comme celui-ci), ne sont pas ordinairement ce dont je raffole le plus. Pour fouiller davantage l'analyse, il aurait fallu que je le relise et, pour le coup, ce n'est pas non plus une priorité.

 

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* La psychologie dite behavioriste s'emploie à cerner des comportements de l'extérieur, sans recours à des manifestations d'une quelconque intériorité (psychique). Comme courant scientifique, elle est un peu passée de mode. En revanche, l'idée est utile et j'aurais du mal à l'exprimer par un synonyme efficace.

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