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Romans pour ados à thématique homo : explications

Quand j’avais onze-douze ans, j’ai commencé à comprendre que j’en pinçais sérieusement pour les garçons. Mais à l’époque, il n’existait pas la moindre bouée pour affronter cet océan gris et hostile qu’on appelait « homosexualité » et qui sentait la pharmacie. Pas un livre, pas un film pour m’aider à comprendre et à me sentir moins seul. Il existait des trucs pour les adultes, mais je n’avais pas vraiment l’âge et j’ignorais leur existence... Il y avait bien la collection Signe de piste et ses garçons en shorts de scout, mais il n’y avait rien de clairement gay là-dedans : il fallait lire entre les lignes. Et puis j’ai découvert plus tard que certains auteurs de cette maison d’édition étaient franchement peu présentables (genre pédophiles et/ou fachos).
elva.jpg Depuis cette époque un peu triste, les choses ont bien changé : plus particulièrement ces quinze dernières années l’édition pour ados s’est beaucoup développée, et on a vu apparaître de plus en plus de romans qui, sans être toujours franchement gays ou lesbiens, évoquent cette thématique — avec plus ou moins de réussite. Après une période où les associations catholiques hurlaient à la perversion de la jeunesse, plus personne ne remet en cause l’importance d’offrir aux adolescents, garçons et filles, des livres auxquels ils peuvent s’identifier ou qui les aideront à devenir tolérants... Certes, on a vu encore il y a quelques années les éditions Bayard refuser de publier dans un de leurs journaux la BD de Tito Le pari (par ailleurs d'une laideur graphique spectaculaire), mais hormis cela, c’est le printemps !

 Si les années 1990 ont vu le "douloureux problème" émerger dans la littérature jeunesse, un changement essentiel est survenu depuis 1999-2000 : jusque là, il s’agissait surtout de raconter comment de jeunes hétéros rencontraient l’homosexualité chez un proche (parent, frère, ami) et, à l’issue d’un processus plus ou moins long, devenaient des défenseurs convaincus du droit à la différence ; désormais, on voit apparaître des histoires dont le personnage principal est un(e) adolescent(e) faisant l’apprentissage de son homosexualité. Pour mineure qu’elle puisse sembler au premier abord, la nuance est essentielle : quand on a douze ou même seize ans, s’identifier au personnage principal est fondamental. On peut imaginer que les maisons d’édition ont mis un certain temps avant d’oser ce second pas, qui peut s’avérer financièrement risqué : rares sont encore les affirmations précoces et la honte, notamment en milieu scolaire, perdure. Il y a donc le risque de voir ces livres ne pas bien se vendre. On doit aussi lier cette inflexion à l’émergence d’auteurs sans complexes, désireux d’exprimer les sentiments que l’on traverse dans cette situation : je pense tout particulièrement à Franck Secka, Jérôme Lambert, Corinne Gendraud, Thomas Gornet et Claire Mazard.

fox2.jpgEncore faudrait-il que les ados sachent que ces livres existent. D’où la liste que j'ai publiée. Elle essaie d’être aussi riche que possible, et s’enrichira régulièrement avec des nouveautés. J’y ai fait figurer des indications d’âge, mais je reconnais que c’est subjectif et que d’un lecteur à l’autre le moment où un livre « parle » varie. J'aimerais pouvoir adjoindre des commentaires renvoyant à chaque ouvrage, mais je ne brille pas par mon savoir-faire technique. La liste que j’ai constituée a l’ambition d’être exhaustive. Par conséquent, elle met ensemble des livres pour lesquels je n’ai pas la même affection, la même considération… La vocation des lignes qui suivent est d’exprimer un commentaire global sur cette production, en faisant des comparaisons diverses et en formulant un certain nombre de jugements de valeur qui n’engagent bien évidemment que moi.

 

vermot-1.jpgTous les livres contenus dans la liste, à l’exception peut-être de Comme le font les garçons, présentent l’attirance pour une personne du même sexe comme quelque chose de positif, même si l’apprentissage de cette positivité est parfois le propos même du livre : dans Le Cerf volant brisé de Paula Fox, le jeune héros Liam réalise que son père est homosexuel en même temps qu’il apprend que ce dernier est malade du SIDA, et toute l’histoire consiste à raconter son acceptation progressive de cet état de fait. Dans Adieu Maxime ou Sweet homme, l’apprentissage du respect est également centrale, à telle enseigne que ces livres semblent parfois voués à enseigner la tolérance. On retrouve quelque chose de similaire dans Pour toi, Anissa, je fonce à deux cents années lumière, de Clothilde Bernos, même si le livre est plus complexe dans son schéma narratif. Certains auteurs francophones, en majorité hétérosexuels, ont un propos implicitement éducatif. C’est évident pour Brigitte Smadja, Didier Jean et Zad, Marie-Sophie Vermot, mais moins pour Marie-Aude Murail, qui offre d’abord sa jubilation d’écrivain dans Oh, boy !. Le livre de Franck Andriat, Tabou, est sans doute celui qui va le plus loin et le plus délibérément sur la voie éducative ; mais il a la particularité de mettre au centre de l’histoire un héros homosexuel (Philippe), ce qui évite la mise à distance des romans gay friendly. En revanche, il en résulte une sorte de caractère schématique du récit et des personnages (qui sont assez archétypiques : l’homo honteux, celui qui a le courage de s’assumer, le copain hétéro qui met de l’eau dans son vin, la « fille à pédés », etc.). Le livre de Guillaume Bourgault, Philippe avec un grand H, est, plus encore que Tabou, une sorte de catéchisme de l’acceptation de soi, mais à destination des jeunes gays essentiellement. Fort sympathique par ses intentions et sa valeur de témoignage, ce livre est pour le reste assez mauvais du point de vue de l’écriture et de l’intérêt romanesque.
honore-12.jpg Les auteurs gays qui mettent au centre de leur histoire un personnage hétérosexuel évacuent en général cette dimension problématique de l’acceptation de l’homosexualité : le petit frère de Christophe Donner accepte d’emblée les orientations de son grand frère, de même que petit Marcel à l’égard de Léo chez Christophe Honoré (dans Tout contre Léo et dans Mon cœur brisé). Les frères et sœurs (et les amis) incarnent ici une sorte d’idéal, et l’orientation sexuelle devient un simple attribut que donner-2.jpgl’amour fraternel prend en charge comme le reste. Cette évidence est peut-être liée à la classe d'âge visée par ces livres (des enfants). Il y a la même évidence dans Noël, c'est couic ! de Christophe Honoré et On m'a oublié de Guillaume Le Touze, qui s'adressent également à un public de moins de 10 ans.
Hâvre ou repoussoir, la famille est évidemment la grande affaire de presque tous ces livres, avec des modulations un peu binaires entre acceptation (la famille cocon) et refus inexpugnable. Pourtant, rares sont les livres qui sont centrés sur l’acte de la révélation (ce qu’on appelle coming out ou «sortie», chez les Québécois) : Macaron citron
de Claire Mazard et Tous les garçons et les filles de Jérôme Lambert explorent la question de l’intérieur, avec une grande délicatesse pour le second. Sweet homme et Le cahier rouge sont des variations sur l’envers des aveux : la façon dont ils sont ressentis par ceux à qui ils sont destinés. Quant au À pic de Franck Secka, il explore une autre modalité de la situation : ce qui s’affirme chez le héros, Jean, devient évident sans vraiment en passer par le dire. C’est d’ailleurs l’un des aspects stimulants de ce livre réfractaire aux situations convenues. En ce sens, les romans français divergent de leurs homologues anglo-saxons, pour lesquels la révélation à la famille et aux proches est le sujet majeur.
gornet.jpgCertains auteurs francophones se sont même ingéniés à exprimer une homosexualité qui ne s'est pas encore révélée à elle-même, qui demeure dans les limbes : c'est le cas dans Meilleur ami de Jérôme Lambert, Qui suis-je ? de Thomas Gornet et Le Secret d'Anita van Belle. Parfois, le rideau se déchire, mais pas toujours : Jérôme Lambert s'amuse jusqu'au bout avec les naïvetés de son personnage, tandis qu'au contraire Thomas Gornet a fait le pari de nous donner à vivre sans surplomb la prise de conscience de son héros. Le personnage central d'Il y a des nuits entières de Michel le Bourhis est lui aussi dans un processus de réalisation de lui-même, mais plus avancé.

Dans les livres un peu anciens, le thème de l'agonie et du deuil est omniprésent, ainsi dans les romans qui parlent du SIDA : Le Cerf volant brisé, La Nuit du concert de M.-E. Kerr, la saga "Léo" de C. Honoré, Adieu Maxime de B. Smadja et Mais il part de Marie-Sophie Vermot. Dans la littérature jeunesse, le SIDA est toujours vu de l'extérieur, du moins dans les livres qui articulent cette maladie avec l'homosexualité. Particulier est le cas des Roses de cendre d'Erik Poulet-Reney, qui évoque la déportation des homosexuels par les Nazis.

mazard-g-copie-1.jpgMais le thème du deuil ne se réduit pas au SIDA ou à la déportation : on le retrouve aussi dans Le Cahier rouge de Claire Mazard, Mon frère et son frère de Hakan Lindquist, Frère de Ted van Lieshout, C'était mon ami d'Anneke Scholtens... Il faut bien avouer qu'un nombre très élevé de romans pour ados parlant d'homosexualité ont un caractère assez lugubre, y compris des livres d'une grande beauté comme Frère (déjà cité) et Point de côté d'Anne Percin. S'agit-il d'exprimer une forme de tragique qui serait attaché à la condition homosexuelle ? J'avoue que c'est une idée assez désagréable, assez hétéro pour le coup. D'ailleurs, les écrivains gays, notamment francophones, notamment les plus contemporains, ont remisé la mort dans son placard : on meurt de moins en moins dans les livres récents.
rippert.jpg Une certaine fantaisie un peu queer apparaît dans Un papillon dans la peau de Virginie Lou et Différents de Maryvonne Rippert, mais ce ne sont pas des livres très bien fagotés. De l'humour il y a chez Thomas Gornet, Jérôme Lambert, Marie-Aude Murail (obviously !), Franck Secka, et évidemment dans La Danse du coucou d'Aidan Chambers, dont j'ai déjà parlé dans un autre billet. Cela reste tout de même le grand deal du futur : un roman d'amour LGBT pour adolescents à la fois poétique, drôle, bien écrit, émotionnellement fort, et sans cadavres...

galea-copie-1.jpgIl est difficile de recommander tel ou tel livre en disant : c'est par celui-là qu'il faut commencer. Cela dépend tellement des lecteurs... Pour un ado garçon assez jeune chez qui des choses seraient en train d'émerger, je recommanderais Entre les vagues de Claudine Galéa, À pic de Franck Secka, Meilleur ami et Tous les garçons et les filles de Jérôme Lambert, Qui suis-je ? de Thomas Gornet et Jesus et Billy s'en vont à Barcelone de Deirdre Purcell. Pour les filles, il y aurait Macaron citron de Claire Mazard et La vie comme Elva de Jean-Paul Nozière. Je ne connais pas aussi bien les romans à thème lesbien, parce qu'il y en a moins et que je ne les ai pas encore tous lus. J'aime assez Le Bâillon de Corinne Gendraud, mais c'est pour des adolescentes déjà assez mûres. Côté histoires de garçons, le chef d'oeuvre poétique du genre, c'est incontestablement Entre les vagues de Claudine Galéa. J'ai un amour tout particulier, comme lecteur adulte, pour La Danse du coucou, à mes yeux un grand livre. J'ai aussi énormément d'affection pour Point de côté d'Anne Percin, Frère de Ted van Lieshout et Les garçons de Xavier Deutsch (un OVNI). Il ne faudrait pas oublier Luna de Julie-Anne Peters, qui parle de la transexualité non sans pathos, mais avec beaucoup de force. Maintenant, il s'agit d'un choix littéraire d'adulte. L'idéal serait que les bibliothèques disposent du maximun de ces livres pour laisser aux lecteurs auxquels ces livres sont destinés la possibilité de choisir.

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L
Quel article !! :-)... Très complet je trouve... <br /> Rien à redire, juste une chose à rajouter : ce n'est pas seulement pour les ados homos qu'il faut que ces livres existent et soient diffusés... c'est aussi et surtout pour les homophobes ou intolérents...afin qu'ils comprennent que tout serait plus simple si on arrêtait de mettre les homos dans un jolie petite case...<br /> <br /> sinon, bravo pour l'article !
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J
Merci pour ce gentil commentaire. L'ennui avec les homophobes, c'est que beaucoup ne lisent pas ! Je pense qu'il appartient aussi aux enseignants de collège et aux documentalistes de diffuser toute cette littérature jeunesse, mais c'est un travail délicat. J'ai une amie qui fait un super travail dans son CDI pour ça, mais qu'en est-il de tous les autres ? de ceux qui n'en ont rien à faire ? Et dans les librairies qui ont un rayon jeunesse, pourquoi n'y a-t-il jamais une sélection spécialisée, pour éviter aux jeunes de demander?Je pense qu'il y a un travail d'éducation à faire auprès des jeunes. Malheureusement, ce n'est pas demain la veille que ça va commencer. Dans cinq ans ?