C'est une idée de gugusse que de parler en français de bouquins en anglais, mais j'assume. En effet, dans le post une déception/disappointment, j'ai balancé une liste de livres. Pour quelqu'un qui certes peut lire l'anglais mais n'a jamais mis le nez dans l'un de ces ouvrages, naviguer à vue n'est certainement pas une partie de plaisir. Je tiens à préciser que je ne suis pas bilingue. J'ai appris l'anglais à 25 ans pour partir dans le golfe Persique. Quelques années plus tard, après avoir fini Dreamboy de Jim Grimsley dans la traduction parue chez Anne-Marie Métailié (2003), j'ai voulu à tout prix lire le texte original. Je me le suis procuré. Comme j'avais la traduction à portée, je me suis plongé dedans. C'était le début d'une aventure faite de tâtonnements et de beaux plaisirs. En levant cette barrière, j'ai eu accès à un monde nouveau. Il arrive que ce soit très ardu (j'ai beaucoup souffert sur Setting the Lawn of Fire de Mack Kendrick et sur Stray de Sheri Joseph, deux très beaux livres dont la langue est difficile). La littérature pour teenagers et young adults a l'avantage d'être d'un accès plus facile que la moyenne.
Je n'ai pas exactement lu tous les livres de la liste, mais pas loin. Je crois bien que j'ai découvert le genre au travers de Geography Club de Brent Hartinger et de Rainbow Boys d'Alex Sanchez. Ce sont des livres extrêmement faciles d'abord : je n'ai même pas eu besoin d'ouvrir un dictionnaire. J'avais dû les trouver sur amazon.com. Le site américain présente l'avantage de donner accès à une liste thématique comme il n'en existe pas d'équivalent pour la France quand on fait des recherches en ligne.
De là, je suis passé à James Howe, Stephen Chbosky, A. M. Homes et à l'anthologie de Marion Dane Bauer. Sur ces entrefaites est paru le mémoire de Michael Cart et Chistine Jenkins, dont j'ai parlé dans "Disappointment". Il a le mérite de m'avoir fait découvrir des horizons nouveaux. C'est grâce à eux que j'ai découvert Aidan Chambers, Roger Larson et quelques autres. En revanche, la partie "young adults" de la liste est totalement de mon cru et prend "adult" dans un sens légal, en quelque sorte. J'ai lu en traduction la plupart des bouquins qui y figurent, ce qui change pas mal la donne. L'ensemble de la liste est centré sur des figures masculines de l'homosexualité. L'offre est tellement vaste en anglais que j'ai fait jusqu'à présent un vilain choix sexiste. Je compte lire bientôt Annie on My Mind, le livre célèbre de Nancy Garden. Ce sera le début de ma pénitence.
Il n'est pas question pour moi de vous offrir une quelconque synthèse, comme je l'ai fait pour les livres publiés en France. Si vous cherchez quelque chose de ce genre, vous pouvez toujours consulter le Cart & Jenkins. Pour l'heure, je n'ai fait que suivre la pente de mon plaisir de lecteur, limitée par mes compétences en anglais. La suite de ce post, sa partie principale, consiste à vous faire partager mes découvertes.
J'éprouve une sensation assez ambivalente à l'égard de la série par laquelle je suis entré dans le monde des gay novels for young adults, et pourtant, j'ai dévoré les 3 livres avec énormément de plaisir. Il s'agit des trois rainbows d'Alex Sanchez: Rainbow Boys (2001), Rainbow High (2003) et Rainbow Road (2005). Ecrits dans une langue claire et sans fioritures, ils nous racontent la saga de trois ados très différents, Kyle Meeks, Nelson Glassman et Jason Carrillo, tout au long de leurs trois dernières années avant la graduation (l'équivalent du Bac, sans examen final, aux Etats-Unis). Nelson est un gay flamboyant, assez provoquant, traité comme un paria dans son lycée. Il vit seul avec sa mère, qui l'a toujours soutenu et qui forme avec lui un couple fusionnel. Son seul ami est Kyle, le très bon élève du lycée, par ailleurs membre du club de natation. Nelson est "secrètement" amoureux de Kyle, qui lui en pince depuis longtemps pour Jason, le prototype du "jock" (sportif), écartelé entre sa popularité de champion de basketball et une famille qui part à vau-l'eau. Les trois romans racontent des histoires de lycée: coming out, homophobie, amitié, SIDA, amour. Le point de vue passe de l'un à l'autre des trois garçons (même si le narrateur est toujours le même), circulant pour mieux mettre en contraste leurs différences et en même temps ce qui les unit. C'est extrêmement narratif, sans art autre que celui du conteur, mais dans le genre on peut difficilement faire plus captivant. N'eût été la volonté éducative de l'auteur (car il y a cette dimension-là aussi, même si elle est très discrète), on pourrait parler de littérature d'évasion. Alex Sanchez n'est jamais vulgaire ni sentimental à bon marché. Même si ailleurs je l'ai brocardé en le qualifiant de "Barbara Cartland", il vaut mieux que cela. Je pense que pour toute personne apte à lire un anglais ordinaire et qui voudrait se plonger dans des histoires d'ados gays, on ne peut pas faire plus adéquat. Je confesse que j'ai un très gros faible pour son personnage de Kyle...
Dans un genre assez voisin, Geography Club de Brent Hartinger est un livre à la fois plus schématique et plus militant. Il est encore plus facile à lire, mais ce n'est vraiment pas un livre inoubliable, en dehors de son intérêt culturel. Je n'ai pas lu le sequel, The Order of the Poison Oak (2005).
En revanche, pour des lecteurs plus jeunes, il existe des livres merveilleux: The Misfits (2001) et Totally Joe (2005) de James Howe, et The Boys and the Bees (2006) de Joe Babcock. Ces trois romans ont pour point commun d'être extraordinairement drôles. Quiconque a eu entre les mains du James Howe, célèbre écrivain pour enfants américain, sait la jubilation permanente que l'on éprouve en le lisant. The Misfits raconte comment un quatuor de parias, Bobby (le gros), Skeezie (le voyou), Addie (la fille intello pète-sec gauchiste) et Joe (la "tapette"), réunissent leurs forces pour combattre l'ostracisme dont ils sont les victimes. Ils ont une douzaine d'années, et c'est Bobby qui raconte l'histoire. Tout est absolument hilarant : le ton, les situations, les personnages, les jeux de mots. Ce livre a eu un impact tel que l'idée d'une "semaine sans insultes" (no name-calling week), inventée par James Howe via Bobby, est devenue une institution dans certaines middle schools américaines. Quatre ans plus tard, l'auteur a remis le couvert avec une suite que je trouve encore plus drôle et poignante, Totally Joe, dont le narrateur est cette fois Joe Bunch, personnage absolument mémorable de campitude fûtée. Il est à noter que James Howe a fait un coming out tardif (à la cinquantaine), si je ne m'abuse entre les deux livres. Il a prêté à son jeune personnage de treize ans son humour multiforme. Dans la même classe d'âge, avec presque autant d'humour, mais une dimension sexuelle absente des livres de Howe, j'ai énormément aimé The Boys and the Bees de Joe Babcock. Encore un triangle amoureux de garçons: Andy (le narrateur) est le seul copain de James, qui souffre d'une terrible réputation dans leur middle school où il ne fait pas bon être un sissy boy. James et Andy s'adonnent à de petits jeux assez mal vus de l'église catholique romaine à laquelle "appartient" leur univers. Mais Andy est près à toutes les trahisons pour plaire à Mark, le garçon le plus populaire de leur classe (encore un basketteur !). Le schéma est assez voisin des Rainbows, sauf que le ton est franchement plus humoristique, alors même que le climat de cette communauté catholique rigoriste est autrement plus flippant. Joe Babcock est beaucoup plus artiste qu'Alex Sanchez. Il vise un public plus jeune, sans pour autant faire de pudibonderie.
J'ai déjà parlé de Boy 2 Girl de Terence Blacker, parce qu'il a été traduit en français, mais l'original est bien plus savoureux que la traduction. J'ai également apprécié Jesus and Billy are off to Barcelona de la "best-selleuse" Deirdre Purcell (1999), sauf que je l'ai d'abord lu en français. C'est un livre d'une sécheresse élégante, aussi bref que surprenant. Sur le même créneau des préados, j'ai lu en anglais deux autres très beaux livres: Jack d'A. M. Homes (1989), raconte comment un adolescent découvre l'homosexualité de son père, sur fond de divorce de ses parents, et le laborieux apprentissage de l'acceptation ; What I know, now, de Roger Larson (1997), se passe durant les années 1950 et raconte l'amour très chaste d'un ado de 14 ans, Dave, pour un jeune adulte, Gene, qui vient jardiner chez sa mère divorcée. Tout est suggéré, il n'y a pas de coming out. C'est un roman délicat et habité par une nostalgie et une poésie délicates. Alex Sanchez a écrit deux livres pour cette tranche d'âge : So Hard To Say (2004) et Getting It (2006). Là aussi, il trace son sillon, en direction des gay teens.
Pour les déjà plus grands, il existe aussi deux anthologies, Am I Blue...? de Marion Dane Bauer et Not the Only One de Jane Summer, toutes les deux très bien, très diverses. Dans le premier, on découvre qu'une foule d'écrivains pour ados assez célèbres sont gays (Bruce Coville, Lois Lowry, Gregory Maguire), outre qu'y figurent certaines des plumes les plus célèbres de la littérature "gay themed" pour ados (Francesca Lia Block, Nancy Garden, M.E. Kerr, Jacqueline Woodson). Le second réunit plutôt des auteurs émergents, avec une dimension plus militante (le livre a été publié par Alyson, la maison d'édition du groupe qui publie le journal The advocate).
J'ai déjà abondamment parlé de Dance on My Grave d'Aidan Chambers (1982). C'est le roman inégalé de la literature for young adults, sur l'amour entre garçons (voir mon post "une petite merveille"). Aux Etats-Unis, un autre livre remarquable a fait énormément scandale et se trouve black-listé dans de nombreux établissements scolaires : The Perks of Being a Wallflower de Stephen Chbosky (2001), un roman d'apprentissage écrit dans une langue délibérément neutre. Pourtant, c'est loin d'être l'ouvrage le plus emblématique sur le sujet. L'auteur dissèque avec un art froid de chirurgien les relations entre un jeune élève de seconde, précoce en anglais, et deux élèves de terminale, une fille et un garçon (homo).
Je n'ai pas encore lu un seul livre du prolifique Mark E. Roeder. J'ai rapidement éclusé en revanche le roman fort médiocre de Stephen Moore, Dancing in the Arms of Orion, l'un de ses disciples. C'est à peu près de la littérature de gare. Il y a d'ailleurs multiplication des livres assez insignifiants, maintenant qu'existe un créneau "ados gays". Heureusement, il se publie aussi des traductions : Brothers de Ted van Lieshout, dont j'ai dit combien je l'avais aimé, The center of the World de l'écrivain allemand très connu Andreas Steinhöfel (pas traduit en français à ma connaissance). Récemment, j'ai lu Sexy de Joyce Carol Oates, un roman terrifiant sur l'intolérance et la persécution, écrit à la manière d'un thriller, dans une langue qui évite tout pathos. Par-delà ce que son jeune héros Darren Flynn perçoit, dans sa progressive prise de conscience de la noirceur humaine, le lecteur lui voit encore plus loin et plus profond dans un océan de noirceur et de lâcheté.