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Child of my Right Hand d'Eric Goodman

Eric Goodman, Child of my Right Hand, Naperville, Illinois, Sourcebooks Landmark, 2004.

 

Child of my Right Hand est un roman à la fois drôle et peu amène sur un couple d’universitaires américains qui doivent accompagner l’affirmation de leur fils de 17 ans, homo, très enveloppé, et un tantinet caractériel. La famille Barish a quatre membres : Genna, la mère, petite femme boulotte, spécialiste de littérature romane ; Jack, le père, qui fait dans les science studies, ancien footballeur et véritable armoire à glace ; Lizza, quatorze ans, belle gamine élancée très indépendante, et Simon, donc, mastodonte à la voix prodigieuse, en échec scolaire, traité de « faggot » (pédé) partout où il passe.

La narration épouse successivement le point de vue du père, de la mère et de Simon, en laissant délibérément de côté Lizzie, qui reste toujours la dernière roue du carrosse. Les parents Barish enseignent à Tipton university, un établissement de l’Ohio, au cœur de l’Amérique red-neck, populaire et traditionaliste. Pendant de nombreuses années, ils ont fait la navette avec la capitale de l’État, Cincinatti, où ils vivaient afin de préserver leurs enfants du climat « small town » de leur lieu de travail. Le roman commence alors qu’ils ont fini par déménager à Tipton.

Le livre développe trois fils étroitement imbriqués : les difficultés sociales d’un adolescent à la fois hors-norme à tous points de vue (gay, gros, chanteur surdoué) et on-ne-peut-plus ordinaire (l’école l’ennuie, ses pulsions sexuelles le travaillent violemment, son père l’horripile) ; les hauts et les bas d’un couple de quadragénaires ; le sentiment d’insécurité grandissant que l’Amérique réac génère chez ceux qui ne lui ressemblent pas. Une riche galerie de personnages secondaires vient progressivement peupler l’univers des Barish : natifs pas forcément étroits d’esprit, aventures de Simon et de son père, membres de la famille. L’ensemble est extrêmement nuancé. Eric Goodman est un peintre plutôt subtil de l’Amérique ordinaire, dont il fait ressortir avec une intelligence quasiment sociologique les atavismes et les contradictions.

L’uns des aspects les plus intéressants du livre est son travail sur la langue des trois personnages principaux, très orale, faite de tournures répétitives, d’hésitations. Chacun à leur manière, Jack, Genna et Simon avancent à tâtons dans un univers instable où leurs certitudes sur eux-mêmes se délitent, au contact d’un environnement imprévisible. Ce n’est pas un petit mérite que d’avoir réussi à exprimer cela dans la façon dont ils parlent.

Le coming outdu fils survient au tout début du roman. L’homophobie est présente tout au long du livre. À chaque fois qu’elle semble refoulée et en échec, c’est pour ressurgir encore plus pesamment. À ce titre, l’auteur semble ne pas partager l’optimisme que l’on trouve dans nombre d’ouvrages de fiction made in USA. Ce n’est de toutes façons pas un livre pour la jeunesse, et la noirceur du propos, bien que dissimulée, est tout à fait saisissante. Pour autant, jusqu’à la fin, le lecteur serait bien en peine d’imaginer comment l’histoire va tourner. De ce fait, je ne suis pas du tout d’accord avec les critiques qui ont qualifié le livre de “comic tragedy”, parce qu’il n’y a aucun mécanisme tragique. Rien n’est joué à l’avance, et ce jusqu’à la dernière page. Il n’y a pas de fatalité, de la même façon que Jack renonce, peu à peu, dans ses spéculations universitaires, à l’idée d’un gêne homosexuel.

En revanche, le livre est effectivement souvent drôle : comique de situation la plupart du temps, ou fondé sur des réparties burlesques. Et quand le ressort n’en est pas direct, plane un humour amer, assez fidèle au personnage de Genna Barish. Nombre de personnages secondaires (comme le professeur de chant ou certains voisins) sont assez croquignolets. La description d’une campagne pour un référendum d’initiative populaire (il s’agit d’augmenter ou non les impôts locaux pour améliorer le financement de l’éducation à Tipton) permet à Eric Goodman d’exprimer toute l’intelligence de sa peinture sociale. Pour autant, le roman n’est jamais didactique ou documentaire : sa dimension descriptive est toujours insérée dans la trame narrative ou dans des dialogues. Grâce à un sens accusé de l’effet de réel, il suffit d’un détail pour suggérer bien des choses (à condition de connaître le contexte américain).

Bref, comme roman social vif et juste, Child of my Right Hand est une réussite. Je n’irais pas dire que c’est un chef d’œuvre de littérature, mais je ne pense pas que ce soit le propos.

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L
Merci pour vos éclairantes notes de lecture. Dans le même genre, un roman lu récemment que j'ai particulièrement apprécié - My side of the Story de Will Davis (Bloomsbury UK). Pour info, je parle de censure et de littérature (jeunesse et ado entre autres) sur mon blog http://blongre.hautetfort.comMerci de vos visites.
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J
Merci à vous, Blandine, pour ces réactions. J'irai voir le livre que vous me recommandez.Joannic