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Erwin Mortier : une interview dans Libé en 2004

 

Je tiens à préciser (ou à rappeler) que je ne suis pas l'auteur des lignes qui suivent. C'est une interview publiée dans Libération par Sean James Rose et intitulée "Polder du temps" que j'avais repiquée sur internet à l'époque. Elle m'a fait découvrir l'auteur (ma reconnaissance éternelle au journaliste). Mes analyses personnelles sont ici et .

ERWIN MORTIER
Ma deuxième peau
Traduit du néerlandais par Marie Hooghe. Fayard, 234 pp., 17 €.

 

Dans la première scène de Ma deuxième peau, le père, observé par le narrateur bébé, se rase ; dans une des dernières scènes c'est le même homme vieilli, tel qu'il apparaît dans la glace de la salle de bains qui rase son fils, incapable de se préparer convenablement pour les obsèques de la personne qu'il aime. Entre ces deux moments, vingt ans ont passé. Celui qui raconte a aujourd'hui 40 ans, Anton regarde une photo : « Eté 197*, le dernier voyage scolaire avant notre diplôme et notre entrée à l'Université. » Mais ça, c'est vers la fin du roman d'Erwin Mortier, là où on découvre que ce qu'on croyait se dérouler dans le sens de la marche, à savoir chronologiquement, n'était en vérité qu'un long regard rétrospectif. Tout se décante d'un coup. Trompé par la formidable plasticité du temps romanesque, le lecteur, comme le narrateur, prend un coup de vieux. C'est à se demander si les saisons de la vie passent aussi vite que se tournent les pages de l'ouvrage. Le temps est la véritable étoffe des romans de l'auteur belge né en 1965.

 

La Flandre des années 60-70, Anton, unique rejeton né dans une famille de fermiers en plein déclin, est un garçon délicat qui a du mal à trouver ses marques. C'est l'adolescence, Anton admire Roland, ce cousin casse-cou qui ne doute de rien, venu habiter chez eux ; il y a aussi Willem, un redoublant de sa classe, tout aussi énergique mais d'une grâce troublante. Ma deuxième peau est le second volet d'« une trilogie informelle qui traite de la mémoire et de la façon dont chacun tente de gérer son passé ». Le premier, Marcel (Fayard, 2003), était une histoire familiale de collaboration avec les nazis revisitée par un enfant ; le dernier, Temps de pose, est la quête d'un père inconnu que poursuit un protagoniste au seuil de l'adolescence, à paraître l'année prochaine, chez le même éditeur.

 

La fin de l'enfance, le début de l'adolescence, c'est une période qui vous intéresse.

 

Tout y est flottement, le monde des possibles s'ouvre, tout apparaît malléable, versatile. C'est le moment où on réalise que les rêves peuvent basculer dans le réel ou s'évanouir à jamais. C'est pour cette raison qu'Anton qui le pressent est si prudent, c'est un rêveur qui n'ose pas agir trop vite. S'il envie l'aplomb de son cousin Roland, son goût de l'aventure, une part de lui-même désire également la vie tranquille et petite-bourgeoise à laquelle leur camarade Roswita se destine. Ses émotions dépassent son entendement. Il hésite sans cesse. Pour expliquer sa façon de penser, comparée à celle de Roland, il dit qu'il est comme une domestique« qui ouvre prudemment des tiroirs, essaie en cachette des robes devant la glace et les range sans un faux pli ».

 

Le titre est ambigu, de quoi s'agit-il au juste, du narrateur, de son petit ami ?

 

L'ambiguïté est voulue. Cette « deuxième peau » c'est aussi bien le monde dans lequel il a grandi, ce milieu modeste de fermiers désargentés, le clan des Callewijn, l'enfance, les parents, les oncles, les tantes ; que son premier amour, Willem ; que, enfin, la langue qui devient le sanctuaire de son deuil, les mots qui enveloppent son sentiment de perte, et tentent de le traduire.

 

La société flamande à l'époque du roman, les années 60-70, passe de la société traditionnelle rurale à la société de consommation. L'aliénation d'Anton n'en est-elle pas ressentie encore plus fortement ?

 

Bien sûr, il se rend compte de l'obsolescence de certaines valeurs : la famille, la tradition, la hiérarchie, transmises par un système éducatif rigide (les professeurs leur reprochent à lui et à Willem d'entretenir un lien d'amitié trop serré). Mais son aliénation est surtout due à sa sexualité, qui est considérée en marge, et, partant, contre l'ordre naturel des choses. Elle lui donne une chance extraordinaire de se rendre compte qu'en n'ayant pas sa place, il doit lui-même la trouver. Il prend conscience que rien n'est donné d'avance, qu'il faut se créer soi-même, construire sa vie, réinventer l'amour. Et c'est son père qui, en lui donnant une leçon de rasage, sans le savoir, lui donne un conseil de vie : « Tout simplement, accompagner le mouvement. Suivre les lignes de ta nature. C'est ainsi qu'on ne se coupe pas. »

 

C'est un roman pudique : rien n'est dit, rien n'est décrit de la relation entre Anton et Willem.

 

Dans le manuscrit original, il y avait un chapitre beaucoup plus explicite, mais, à la relecture, je l'ai supprimé, car j'avais l'impression qu'il retirait toute sa force au livre. Aussi le corps des jeunes amants est-il dépeint par petites touches impressionnistes. Ce qui m'intéressait, c'était de faire partager la confusion émotionnelle d'Anton, son désarroi face à un sentiment qu'il a du mal à définir. Je ne voulais pas d'un « roman gay », en étant plus implicite, je recherchais quelque chose de plus universel, une histoire dans laquelle tout le monde aurait pu se reconnaître. Une histoire d'amour et de deuil. Pour moi, l'important dans un livre, c'est ce qu'il y a entre les lignes, les interstices qui laissent respirer l'imaginaire.

 

La mort est très présente dans vos livres. Dans votre premier roman, Marcel, la grand-mère rendait un culte aux défunts.

 

On raconte des histoires parce que les choses disparaissent, et que les gens meurent. Mais cette manière de faire revivre le passé ou de combler son manque permet aussi de se décharger du poids de son histoire pour s'en sortir, de se forger une identité propre. Cela vaut autant pour un individu que pour un pays. Pour la Belgique, c'est flagrant. Nous, les écrivains belges, nous n'arrêtons pas d'écrire des histoires pour justifier notre identité.

 

Vous êtes également poète.

 

Je ne vois pas la différence entre poésie et roman. Mon écriture a parfois été taxée de nouvelle préciosité. Un avatar du symbolisme ? C'est sans doute à cause du soin dans le choix des mots, d'un style soi-disant « ouvragé », du souci du détail. Évidemment, je suis conscient de ce que j'écris, mais je ne retravaille pas mes phrases tant que ça, elles me viennent naturellement. Ce n'est pas la poésie que j'impose ou injecte dans mes livres, je dirais que le processus est inverse : c'est le potentiel poétique du réel qui se déploie dans l'écriture.

Interview et texte de présentation par Sean James Rose

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Nicolas Bacchus

Chaque année apporte son lot de découvertes musicales fortes. Si mon penchant pour le rock ne se dément pas, j'ai conservé depuis l'adolescence un tropisme fort pour la chanson française « à texte » comme on dit. Grâce à mes divers journaux préférés, j'ai pu découvrir ces dernières années des gens sensationnels comme Camille, Florent Marchet, Jeanne Cherhal, Coralie Clément, Cali, Romain Humeau, etc. 

bacchus6.jpg

Parfois, ce fut plus fortuit et généralement plus confidentiel : Clarika (cela commence à faire longtemps : 1992 !), Bastien Lallement, Fabien Martin, Thibaud Couturier... Et depuis 2006, dans ce registre partiellement fortuit, Nicolas Bacchus. Et j'ai envie de lui faire de la pub, parce qu'il est à mon avis des plus talentueux et, ce qui ne gâche rien, parce que ses humeurs politiques me ravissent. Peut-être certains d'entre vous en ont entendu parler. Il semblerait passer dans certaines bonnes émissions de radio (comme celle d'Hélène Hazéra sur France culture), mais il n'est pas du genre que les bien pensants s'autorisent à diffuser : « grande gueule » comme François Béranger, plus décapant que Renaud (jeune), plus rose que Dick Annegarn, plus irrécupérable que Léo Ferré. Bon, peut-être fais-je dans le dithyrambe excessif, mais tant que vous n'aurez pas essayé, vous ne pourrez pas le vérifier.  

Il a trois albums à son actif. Seuls les deux derniers sont disponibles : Balades pour enfants louches (2002, un album enregistré en live), et À table. Chansons bleues ou à poing (2005).
De son vrai nom Nicolas Bages, il écrit à peu près 30 à 50 % des textes de ses chansons, secondé par deux amis, Dany Rodriguez et Erwan Temple, et presque toutes les musiques. Quelques titres marquants : « Les Sans papiers », « Les restos » (du coeur), « Ton fils (...dort avec moi) », « D'Alain à Line » (une merveille digne de Bobby Lapointe), « Les pommes, les papous, les châteaux », « Dans les saunas », etc.

TON FILS (... dort avec moi)
Paroles et musique : Nicolas BAGES

Toulouse est maquillée
Pour la nuit et sa clique
Dans les bouges, les cafés
Je porte ma musique
Y'a bien toujours quelqu'un
Pour m'prêter un plumard
Me dire que rentrer, c'est trop loin
Et endormir mon cafard

Mais ce soir-là, personne
J'sais pas où m'poser
Alors je traîne ma pomme
Là où c'est allumé
Y'a des gens tout serrés
Des néons bizarres
D'la musique à danser
Et en aidant le hasard

Non. Madame, cette nuit-là
Non, ton fils n'a pas
Dormi avec les filles
Non. Madame, cette nuit-là
Non, ton fils n'a pas
Ton fils a dormi avec moi.

Dans une boîte un peu glauque
Pire qu'au pire cinéma
Ça s'voyait. l'un comme l'autre,
Qu'on n'avait rien à faire là
On est sorti marcher
Pour entendre nos voix
Et au lieu d'se quitter
On s'est embrassé, comme ça

C'est drôle, mais ça r'semblait
A des rêves d'avant
Quelque chose qu'on cherchait
Tous les deux depuis longtemps
On s'est trouvé tous cons
On s'est serré plus fort
Nos corps ont des raisons
Que vos raisons ignorent

Refrain

Pleure pas, jolie Madame,
Ton gars choisit sa vie
Va pas en faire un drame
Ton môme, je l'aime aussi
Et pas la peine de me chercher

A la Gay-Pride, dans ta télé
J'passe pas ma vie à m'planquer
J'ai pas b'soin d'un jour pour m'montrer.

 

tetedefou.jpg
Sur scène, il donne une version décoiffante du « petit âne gris ». Vous ne faites pas erreur, c'est bien la célèbre scie d'Hugues Auffray, mais ils remodèle les paroles et parodie divers chanteurs (Barbara, Francis Cabrel, Renaud, etc., sur l'album de 2002, et Carla Bruni, Jean-Jacques Goldmann, Bénabar, et un Vincent Delerm à hurler de rire sur l'album de 2005). L'ensemble est furieusement drôle. Il y a diverses sources d'inspiration : les « topiques » de la chanson française (l'amour, la mort, la maladie, les désillusions, les bourgeois, les personnages pathétiques, la politique), avec quelques originalités bien ancrées et assez hétérodoxes dans le message (une préoccupation constante pour le tiers-monde, les associations, le militantisme). Et une bisexualité (tendance gay) revendiquée glorieusement, rigolarde, qui donne certains de ses textes les plus réussis et les plus piquants. 

Il a également un site très personnel, et qui vaut le déplacement :

 

On y apprend entre autres qu'il participe à un collectif de chanteurs qui fait des spectacles à propos du groupe pétrolier Total. Voilà ce que je pourrais dire en bref. J'espère que cela vous donnera envie d'aller y écouter d'un peu plus près.
 

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3 nouveaux livres pour ados (en anglais) avec des personnages gays

J'ai enchaîné 3 livres remarquables pour ados ces derniers temps : The Method de Robert Paul Walker (1990), Hard Love d'Ellen Wittlinger (1999) et Peter de Kate Walker (1991). Circonstance fortuite, ce sont trois livres fortement humoristiques, avec des dialogues assez virtuoses. Le premier est difficile à trouver autrement que d'occasion ; les deux autres sont disponibles neufs (en ligne). Ce sont plutôt des livres pour ados déjà mûrs (14 ans et plus).
 
"Albie sat in the bathtub and tied to get comfortable. It was ridiculous. Either his feet went halfway up the tile wall, or his head bumped into the towell rack. Finally, he scrunched himsel into a fetal position, with his knees up around his chin. It wasn't good, but at least he could soak his back and shoulders at the same time. The arms and shoulders were bad, but the back and shoulders were worse." (p. 25)
The Method raconte un été d'Albie Jensen, seize ans, grand échalas maladroit, qui rêve de jouer le monologue d'Hamlet. Depuis le divorce de ses parents, il vit seul avec sa mère, qui tente de refaire sa vie. Il a réussi à intégrer une classe d'été dans sa high school, animée par Mr Pierce, un adepte de la méthode de Stanislavski et de l'Actor's studio. Il y a quelque chose de M. Hulot en plus jeune chez ce garçon malin mais extraordinairement gaffeur.Le petit groupe d'heureux élus socialise peu à peu. Albie sympathise avec Mitch et Maggie. Il prend une cuite mémorable, trahit ses nouveaux amis pour fréquenter le brillant Cliff et sa petite amie Stefanie, découvre que le monde est parfois cruel, et apprend petit à petit à faire un peu plus attention aux autres. On est en plein dans le genre "roman d'apprentissage", mais celui-ci a au moins deux qualités propres : il noue de façon ingénieuse une forme assez bateau avec une évocation des pratiques théâtrales qui joue un rôle de miroir pour ces adolescents en construction (en devenant des acteurs, ils apprennent peu à peu aussi à vivre); c'est un roman vif et qui manifeste une grande malice, tant à l'encontre du lecteur que de ses personnages. La figure du professeur, Mr Pierce, est tout à fait intéressante et se complexifie à mesure que le roman avance. L'homosexualité est un thème secondaire mais non négligeable de l'histoire.
 
Hard Love d'Ellen Wittlinger est un récit à la première personne. Les premières phrases en donnent tout de suite le ton.
"I am immune to emotion. I have been ever since I can remember. Which is helpful when people appeal to my sympathy. I don't seem to have any."
Ici, l'humour sera noir et l'émotion un problème. John Galardi Jr a seize ans et il a décidé de publier un "zine", c'est-à-dire un journal autoédité, Bananafish, dans lequel il donne libre cours à son humour cinglant. Ellen Wittlinger lui a prêté un talent de satiriste et une matûrité de jugement, qui lui font considérer la vie ordinaire de ses contemporains avec beaucoup de détachement. John, qui s'est rebaptisé Giovanni pour ses aventures littéraires, n'a qu'un seul ami, Brian, qu'il moque et maltraite avec application. Ils habitent dans une lointaine banlieue de Boston, dans le Massachussetts. Chaque week-end, John va chez son père, qui habite en ville. Il a découvert le zine tenu par Marisol, qui se définit elle-même "Puerto Rican Cuban Yankee Cambridge, Massachussetts, rich spoiled lesbian private-school gifted-and-talented writer virgin looking for love". Fasciné par la personnalité littéraire de Marisol dans son zine Escape velocity, il n'aura de cesse de la rencontrer et de devenir ami avec elle. Cette amitié ne va pas sans heurts et sans clashs, car la jeune fille est dotée d'une personnalité volcanique et rejette à priori les adolescents mâles hétérosexuels, encore que John se dise "neutral" au début du roman. 
Nourri de tout un esprit folk hérité de la contre-culture, Hard Love est une très belle histoire d'amour et d'amitié, qui dissèque les confusions et les ambiguïtés d'adolescents presque adultes. De nombreux extraits de journaux sont insérés dans le livre, ainsi que des chansons, qui font rupture par rapport au fil de la narration et nous font revivre les expériences d'écriture et de lecture de John. Bien entendu, son cynisme cache de grosses blessures. Les deux personnages centraux prennent rapidement de l'étoffe et l'auteure sait à merveille nous suggérer tout ce qui se cache dans les blancs de la parole et faire surgir les émotions enfouies. Demeure cet humour cinglant et un peu désespéré qui fait de la lecture de ce roman un grand plaisir.
 
J'ai gardé pour la fin Peter de Kate Walker que je viens de terminer. Il y a deux aspects assez coriaces pour un lecteur pas totalement bilingue : la plupart des dialogues sont écrits en aussie (australien), avec un nombre spectaculaire d'idiomatismes, et si on ne connaît rien à la moto, il y a des passages assez hard. Malgré ces obstacles, le livre se lit facilement. Là encore, le héros est le narrateur de l'histoire, un garçon de 15 ans et demi, excellent à l'école, affligé d'un grand frère étudiant et exaspérant, Vince, d'une mère infirmière divorcée hyper protectrice, et d'un père qui ne se montre que pour beugler et faire des scandales, avec une mentalité de beauf épais. L'environnement de Peter est peuplé de ploucs pas très fins, y compris son meilleur ami, Tony, dont la seule obsession est de coucher avec des filles. Les deux fils ont choisi de vivre avec leur mère dans ce qui semble être un bled paumé de l'Australie profonde. Passionné de moto, Peter se retrouve à côtoyer régulièrement une bande de loulous assez peu recommandables, sous la coupe de "Gaz", leur chef, flanqué de gars vicieux, bêtes et intolérants, notamment le bien-nommé "Rats". Leur jeu préféré est de harasser Eddy, surnommé Alice, "the poof", pas très courageux mais toujours près à se faire accepter, y compris par les moyens les moins recommandables.
Vince et Peter n'ont pas été éduqués comme ça. Ils sont "smart and sensitive", tolérants, toujours près à balancer une vanne. Leur mère a fait leur éducation sexuelle et il y a des capotes plein la maison. Un après-midi, Vince embarque son frère à son corps défendant pour des courses en ville. Vince veut dépanner son ami David Rutherford dont la voiture de collection est en panne. Il se défausse sur son petit frère des emplètes de légumes pour la famille. Au dernier moment, Peter embarque David pour les courses en plantant Vince. Un début de complicité naît entre l'ado et le jeune adulte. Un peu plus tard, Vince met en garde Peter en lui expliquant que David est gay. De cette révélation va naître une cascade de complications, aggravées par la présence de la horde de motards débiles.
Le livre est construit sur un crescendo dramatique et émotionnel particulièrement intense et bien foutu. L'ambiance incroyablement homophobe du patelin est rendue de manière remarquable. Mine de rien, Kate Walker a un don pour faire saillir la bêtise et l'intolérance humaines. La famille de Peter tranche là-dessus par son ouverture d'esprit, sauf le père, qui est un concentré de crétinerie. Là encore, l'humour est particulièrement réjouissant. La fin est extrêmement émouvante. Très vivement recommandé si vous pouvez lire l'anglais.

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"Les Témoins" de Téchiné (échange de vues)

Libereau-3.jpgJohan Libéreau


J'ai vu Les Témoins d'André Téchiné il y a deux mois maintenant et cela restera, avec Le Lieu du crime et Les Roseaux sauvages, comme l'un de mes films préférés d'un réalisateur dont je connais presque tous les films. J'ai trouvé le travail sur les couleurs, les lumières, les visages, les sons, absolument magique, et j'ai un énorme faible pour Johan Libéreau (que j'avais déjà vu dans Douches froides d'Anthony Cordier) et pour Emmanuelle Béart. J'ai en outre un désagréable sentiment d'identification au personnage joué par Michel Blanc, même si je suis plus jeune...

Emmanuelle-B--art.JPG
  Des esprits vifs ont été décus par les nombreuses invraisemblances du film. Ainsi Emmanuel:
"la semaine dernière,
les témoins.
téchiné.
[...]
tout faux, je trouve.
sida express,
comme un aller retour en une poignée d'heures, de paris à l'ariège.
des références en trop,
de la crème chantilly qui gâche le goût, un film meringué, alors que je m'attendais à un sablé..."

"l'idée du film est de faire un flash back sur la découverte du sida.
crois tu qu'en un an, tout se soit ainsi organisé , crois tu que même à l'époque, on mourait en quelques mois d'un kaposi pas très fidèle ?
que michel blanc le héros ait tout créé ?
qu'on puisse faire l'aller retour pour l'ariège en une demie journée ?
c'est tout de même un peu incohérent, non ?
que le père ait eu affaire avec l'algérie, comme ça, entre la pâté et la mort ?
et que sais je encore ?
et cette scène du mourant courant encore vers son jardin de drague préféré ?
[...] hop, comme ça, l'affaire est dans le sac.
remake piteux de brokeback mountain.
tout de même, téchiné est tout de même bien placé pour en connaître un minimum sur le sujet, non ?
j'ai trouvé ça drôle, tellement c'était stupide et sonnait faux."
y avait-il besoin que le flic cocu soit bisexuel et beur ? n'est ce pas un peu trop ?

 

Je peux me tromper, mais il me semble que Téchiné n'a jamais eu cure de la vraisemblance. Son cinéma semble réaliste, mais en fait il ne l'est pas. J'ai l'intuition que ses idées de situations sont abstraites. Il fonctionne par tableaux qui montrent des relations, des allégories. Ses histoires sont souvent creuses, ou abracadabrantes, ou schématiques, parce que ce n'est pas un raconteur d'histoire. C'est quelqu'un qui spécule sur des interactions entre des personnages. Il leur faut un décor, une succession de scènes. Son cinéma est un théâtre déplacé.
  Libereau-4.jpg
Johan Libéreau en Manu foudroyé
 
En l'occurrence, je m'étais dit que Les Témoins était une tragédie qui condensait un certain nombre d'aspects des années 1980-1990, mais que Téchiné se moquait de reconstituer l'époque, car, ici comme ailleurs, il se fout de la reconstitution historique. Il la traite par dessus la jambe, par quelques détails, ici les chansons comme "Marcia Baïla", les extraits de JT; dans Les Roseaux sauvages il y avait les slips kangourous (et encore, ils n'étaient pas du tout d'époque); les costumes dans Les Égarés. Mais les personnages des Roseaux avaient des comportements et des vues qui n'étaient pas du tout "années soixante", sans parler des invraisemblances autour de Gaspard Ulliel dans Les Égarés (je m'en tiens délibérément aux films qui sont censés évoquer le passé).
Libereau--Blanc---B--art.jpg
Mais Téchiné est nul en histoire. Ou plutôt : il s'en fout. Il revisite des périodes clés de sa vie (la petite enfance sous l'occupation, l'adolescence pendant la guerre d'Algérie, la maturité dans les années 1980) et projette sur elles sa sensibilité d'ici et maintenant. Ce qui l'intéresse, il me semble, c'est d'offrir une certaine texture picturale (un cadre) à une situation de rencontre entre des êtres humains rêvés, ou "abstraits". Seule la rencontre, conflictuelle, amoureuse, etc., n'est pas abstraite. Et pour la faire vivre, il faut un minimum de réalisme, et des acteurs qui donnent de la vie au tableau. Il est très fort pour faire exploser la vie par ses acteurs.
Je suis bien d'accord que le statut fictionnel des personnages est peu crédible. Au reste, celui d'Emmanuelle Béart n'est pas du tout "des années 1980", car il n'y avait pas encore eu ce boum des écrivains pour enfants qu'on a connu peu après. Et la découverte du SIDA remonte à bien plus tôt. Dès 1982, quand j'avais 14 ans, j'ai lu des choses sur le "cancer gay" dans Le Matin de Paris et Libération. Les dates du film sont beaucoup trop tardives. En 1986-1987, les choses étaient bien plus installées que ne le suggère le film. C'est que tout y est archétypal. Michel Blanc est médecin de pointe et gay et très affranchi, et il se trouve là pour s'occuper de Manu. Les relations entre le "flic-beur-bi qui n'a aucune hésitation à nouer une liaison avec un jeune homme" et le médecin jaloux, c'est du théâtre, rien que du théâtre. Pareil pour l'amitié entre les personnages d'Adrien et de Sarah, c'est un truc qui nous est donné, on ne sait pas d'où ça vient ni où ça va, c'est un mystère. En fait, c'est parce qu'ils vont témoigner après, chacun à leur façon, qu'ils sont amis, alors que les deux "actifs" sont mort (Manu) ou cramé (Mehdi). Il y a les gens dans la vie (ceux que j'ai appelé les actifs) et ceux qui la contemplent ou l'accompagnent, mais restent un peu en marge, au moins à certains moments.
Libereau---Bouajila.jpg 
Bref, je suis totalement d'accord avec la critique d'Emmanuel sur l'invraisemblance du film, sauf que j'ai essayé de suggérer que ce n'était pas le problème de Téchiné (ni le mien, ici, par voie de conséquence). Quand il s'agit d'art, faut-il ne se préoccuper que du fond. C'est la cohérence interne d'un projet qui m'intéresse, y compris s'il n'a rien à dire sur notre monde, sur notre passé, sur notre société, ou que sais-je. En l'occurrence, Les témoins n'a rien à dire sur notre histoire du SIDA dans les années 1980 comme succession de moments, de peines, de peurs, de réconforts. Il la passe à la centrifugeuse et ne retient que l'idée de tragédie qui fait mourir avant l'âge une sorte d'ange, bouleversant ceux qui l'entourent, les nourrissant aussi. Et cette tragédie a plusieurs tableaux qui correspondent à des moments, lesquels sont assez peu historiques, sans parler de leur difficulté à faire un récit.

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Romans gays pour adultes : mes livres de chevet

Je suis une véritable couleuvre. Je suis allé piocher un certain nombre de mes critiques sur le net parce que je n’avais pas trop le temps d’en écrire dans un court terme de quelques mois.

Ma Deuxième peau d'Erwin Mortier

Ma deuxième peau raconte trois moments dans la jeunesse d’Anton Callewijn, qui est également le narrateur du livre. La première partie, « au temps où je ne savais pas encore parler », est centrée sur la mort de l’« oncle Michel », vieil homme qui vit avec les parents du petit garçon dans leur ferme, « en bas de la digue du canal de Bruges ». La deuxième, de loin la plus consistante, se focalise sur la prime adolescence d’Anton (entre 12 et 14 ans) et son admission à l’« Institut Saint-Joseph de l’Enseignement Désespéré ». Il y fait la connaissance de Willem, destiné à devenir davantage qu’un ami. La troisième partie, la plus brève, relate un unique événement, alors que les deux garçons, devenus un couple, ont 19 ans.
À l’exception d’un dossier dans le cahier livre de Libération, ce livre est largement passé inaperçu au moment de sa sortie. La presse gay n’en a même pas parlé, alors qu’il s’agit de l’une des plus déchirantes histoires d’amour entre garçons qu’il m’ait été donné de lire. Cela tient peut-être au caractère subtil et allusif de l’écriture d’Erwin Mortier: ce sont les gestes, les sensations des personnages qui nous donnent à comprendre leur lien, pas un exposé psychologique. Pas non plus de scène de sexe, pas de bons sentiments, pas de milieu branché, etc. Le livre détonne dans la production d’aujourd’hui. À la place des clichés, ce sont 220 pages de poésie et d’humour, magnifiquement traduites par Marie Hooghe — qui avait obtenu un prix pour la traduction du roman précédente d’E. Mortier, Marcel.
Autrement dit, ce livre est une pure merveille. Moins méchant que Marcel, qui est une satire des petits bourgeois catholiques flamands, mais quand même assez vachard, et d’abord avec Anton lui-même. Immensément sensuel ensuite, notamment pour réinventer les sensations d’un tout petit garçon curieux de tout, ou dire les gestes balbutiants de la puberté. L’écriture est extrêmement stylisée et en même temps jamais lourde ou fastidieuse : il y a une liberté d’expression, une facilité déconcertante à épouser tous les tons, à jouer tous les jeux de la langue, qui est la marque des plus grands écrivains. Le plus étonnant est sans doute la façon très particulière dont Erwin Mortier se joue des thèmes les plus mastocs de la littérature (l’amour, la mort, la mémoire, ce genre de choses) pour les faire vibrer à sa manière, sans aucun grand discours, juste en les faisant résonner dans le prisme chatoyant de sa merveilleuse écriture.
Voir aussi mon analyse de son bref récit, Les Dix Doigts des Jours.
 

L'Île Atlantique de Tony Duvert

À sa parution en 1979, s'il s'est mieux vendu, ce livre n'a pas eu le retentissement de ses livres précédents, notamment Paysage de fantaisie, couronné par le prix Médicis en 1973. Pourtant, la facture de ce roman est bien plus classique. Tony Duvert s'éloigne en apparence des expérimentations audacieuses de ses livres antérieurs et raconte une histoire, de façon assez linéaire en somme.
L'Île du titre est un symbole: elle figure un microcosme, un monde en vase clos, avec ses notables, ses intellectuels, ses épiciers, ses prolos, sa prostituée et, surtout, les rejetons de cette société. Duvert procède à la manière de Dos Passos, circulant d'un personnage à l'autre, changeant régulièrement de point de vue. Il fait des allers et retours entre le monde des enfants et celui des adultes, manifestant pleinement à quel point ils sont hermétiques l'un à l'autre. Le sexe est une composante importante des deux univers, rarement joyeux, le plus souvent marqué du sceau de la prédation.
Chaque saynète donne à l'auteur l'occasion d'exercer ses talents de satiriste génial, qui fait exploser la médiocrité, la perversion ou la brutalité avec une économie de mots absolument stupéfiante. Les dialogues sont particulièrement fascinants: leur vacuité fait penser à Nathalie Sarraute ou Robert Pinget, mais qui se seraient convertis au roman (pseudo)réaliste. Il n'y a pas la moindre trace de gras dans ce livre découpé au bistouri dans lequel chaque mot est disposé au millimètre près. Mais comme Duvert est un artiste éblouissant, on peut parfaitement dévorer son livre comme un thriller inquiétant sans s'arrêter sur la forme parfaite qui le sous-tend. Presque tous les amis auxquels je l'ai fait lire l'ont dans un premier temps dévoré, avant de revenir éventuellement sur l'histoire, les personnages (ah ! Madame Seignelet: la mère la plus affreuse de la littérature française !), la satire, l'art, etc.
L'Île atlantique est un chef d'œuvre, un « poème » au sens des Âmes mortes de Gogol, une synthèse entre réalisme et nouveau roman, un livre tout à la fois facile à lire et d'une richesse infinie. Il est plus que temps que l'on reconnaisse enfin l'un des écrivains français les plus importants du XXe siècle, tombé au purgatoire (au moins) dans les années 1980 du fait de ses positions sur les relations entre adultes et mineurs. À sa décharge, on pourrait ajouter que Tony Duvert n'est ni Roger Peyrefitte ni Gabriel Matzneff: ce n'est pas un chasseur sommé de se justifier, et qui s'invente des raisons hypocrites. Ce n'est pas non plus un chantre de l'enfance ou de l'adolescence, dont il poursuit au contraire les mesquineries et la mauvaise foi. Les jeunes sont chez lui des adultes en devenir, déjà pourris par une forme ou une autre de suffisance sociale. Et lui les traque avec un moralisme qui pourra sembler paradoxal.

Voir aussi mon hommage à Duvert après sa mort.

 

Prends-moi par la main de Sheri Joseph

J'ai acheté ce livre un peu au hasard en 2004. Mais après l'avoir enfin lu, je peux dire que ce fut l'une des plus belles surprises de l'année. L'histoire se passe de nos jours au fin fond de la Georgie, au cœur « Green County », épicentre de l'Amérique puritaine, dans l'un des États les plus conservateurs du Sud des États-Unis. Prends-moi par la main entremêle les destinées de quelques personnes, qui ont un lien plus ou moins fort avec un adolescent sensible et hors-norme, Paul. L'auteur utilise une technique de narration assez particulière: elle épouse successivement le point de vue d'une dizaine de personnages en déroulant globalement l'histoire au fil de ces séquences (sauf que certaines sont des flash-backs). Ainsi, l'auteur passe d'un individu à un autre de chapitre en chapitre, avec des retours en arrière, des portraits singuliers, tandis que l'intrigue principale chemine doucement. On pourrait dire que ce roman ressemble à un puzzle, dont le lecteur apprend à recoller lentement les morceaux. Paul est un garçon de dix-sept ans, blond, fragile et doux. Il est irrésistiblement attiré par les hommes et ne peut pas s'empêcher d'aller les séduire le long des routes de Georgie. Mais Paul est entouré par des adultes qui l'aiment et qui, à défaut de le « remettre dans le droit chemin » (sic), veulent tout faire pour le préserver des terribles menaces qui pèsent sur lui: le SIDA, la police, un lynchage collectif. Mais comment sauver Paul et éviter qu'il ne fugue et se perde? Les personnes qui l'aiment veulent le sauvegarder, le préserver, mais rien n'est plus difficile au pays des red necks. L'histoire est organisée autour de ce suspense, de plus en plus fort de page en page. Maniant une écriture à la fois poétique et juste, ce premier roman de Sheri Joseph est un coup de maître, qui aurait dû trouver son public.

J'ai écrit depuis un article plus développé sur Prends-moi par la main, et un autre sur sa "suite", Stray.

 

 

Navarre.jpgYves Navarre, Le Jardin d’acclimatation

 

Fin des années 70 ou début des années 80, Henri Prouillan, ancien ministre, veuf, septuagénaire, se replonge dans son passé et les tragédies familiales. Peu à peu, les autres membres de la famille émergent: Suzy, la soeur, veuve d'un dramaturge rive droite; Luc, Claire, Sébastien, les enfants devenus grands. Par courts paragraphes, Yves Navarre nous insinue dans leurs pensées, fait surgir leur mémoire. Dès le début du livre, le petit dernier de la famille est dans toutes les pensées, Bertrand. Bertrand va avoir quarante ans. Il est retiré dans la maison de famille, à Moncrabeau. On le voit mener une vie hagarde sous le regard des gardiens du domaine. Vingt ans auparavant, il était le soleil de la famille et ses phrases nourrissaient la vie de chacun au rythme de ses trouvailles. Il était promis aux plus belles réussites scolaires. Entretemps, il s'est passé un double drame. L'épouse d'Henri en est morte. Le livre est un chemin qui nous mène à la compréhension de ces événements révolus.
Jamais Yves Navarre n'a écrit aussi juste, aussi sec que dans ce livre-là. Ce fut un Goncourt justifié (une fois n'est pas coutume). Le portrait de Bertrand Prouillan en jeune homme amoureux d’un autre produit aussi l'un des plus beaux personnages romanesques que je connaisse: je m'y suis attaché comme rarement dans ma vie de lecteur. Les lettres de Bertrand à Romain, un jeune acteur de la troupe de son oncle, situées à la fin du livre, sont le sommet de celui-ci, admirable correspondance imaginaire.
Réédité chez H&O en 2009.

 

Deux garçons, la mer de Jamie O'Neill

Entre Joyce et Balzac (quel grand écart !), Jamie O'Neill nous plonge le nez dans l'Irlande Catholique de la première guerre mondiale, partagée entre fidélité à la couronne et tentation républicaine. Chaque page est un cadeau au lecteur. Avec une patience et une minutie sans équivalent, l'auteur nous fait assister à l'avènement de Jim, beau garçon en quête d'absolu. Entre son amour de toujours, le truculent Doyler, et MacMurrough, l'initiateur cynique et débauché, il va s'ouvrir à la vie comme une fleur miraculeuse et improbable. Aucun personnage du livre n'est traité avec mesquinerie, même les plus réprouvables à nos yeux d'aujourd'hui. Il n'est pas besoin de connaître l'histoire de l'Irlande, car on suit sans difficultés cette tragédie qui n'est jamais là où on l'imagine. L'histoire déroule son fil, allant d'un personnage à l'autre, de scène en scène, de l'intime au cinémascope. Jamie O'Neill semble d'ailleurs s'inspirer d'une technique cinématographique dans sa façon de raconter l'Irlande de 1915. Mais il peut aussi dérouler des monologues intérieurs qui rappellent un autre lignage (celui de Joyce).
Bref, Jamie O'Neill est un écrivain de très grand talent, l'un des rares à éviter les ornières du roman historique. Je ne vois guère que La mort du Vazir-Moukhtar de Iouri Tynianov, comme équivalent dans la littérature européenne.

 

Dream Boy  de Jim GrimsleyGrimsley.jpg

Nathan est un adolescent ballotté de maison en maison par ses parents, fuyant un lourd et pesant secret dont il est la victime. À l'occasion d'un énième déménagement et de son arrivée dans une petite localité piétiste du Sud des États-Unis, il devient le voisin de Roy, jeune homme à peine plus âgé dont il tombe profondément amoureux. Rapidement, l'un et l'autre réalisent leur commune attirance, à cette nuance que Roy peine à assumer pleinement leur passion. Mais les deux garçons doivent affronter la pesanteur des tabous d'une Amérique rurale confite en religion, les ambiguïtés de Roy et le lourd passé de Nathan, poursuivi par un horrible secret familial, après. Ce livre de Jim Grimsley, le dernier traduit en français à ce jour, est un délice, sans doute son oeuvre la plus réussie. L'écriture est moins réaliste et plus poétisée que dans les premiers livres traduits de Grimsley. La délicatesse extrême avec laquelle il dépeint les sentiments de Nathan est un pur enchantement, de poésie et de grâce. Il excelle à rendre sensible tous les émois de son personnage principal, à le rendre extrêmement attachant. À aucun moment le livre, malgré son arrière-fond, ne bascule dans la vulgarité ou la facilité. Le chef d'oeuvre que l'on pouvait attendre de Jim Grimsley.

 

Patrick Gale, Chronique d’un été

À ceux qui souhaiteraient se plonger dans ce magnifique roman, je déconseille de lire la 4ème de couverture de l'édition de poche. En effet, « Chronique d'un été » est presque un thriller, dont le mystère est un peu éventé par le résumé. Sans être un livre à énigme façon Agatha Christie, l'auteur en pastiche les procédés et se joue de nous. Patrick Gale aime les histoires compliquées, mêlant plusieurs récits, plusieurs époques, et les entrelaçant finalement, sans que pour autant la fin soit synonyme d'explication, comme c'est le cas chez les vieilles romancières anglaises...
Pour raconter quoi ? L'histoire de deux garçons, Julian, onze ans, qui part en vacances avec ses parents, et Will, quadragénaire gay, heureux propriétaire d'une librairie à succès. Chapitre après chapitre, la narration passe de l'un à l'autre, racontant en parallèle deux histoires de famille. Le procédé pourrait être fastidieux si l'auteur n'avait cet incroyable génie des petits détails subtils, doublé d'une grande drôlerie, et d'un don de poésie jamais galvaudé. Le résultat est un régal de tous les instants, le genre de livre qu'on a un mal de chien à abandonner, ne serait-ce que provisoirement. En outre, Patrick Gale sait exprimer ce je-ne-sais-quoi de vertigineux qui étreint un être quand l'amour lui tombe dessus. On retrouve d’ailleurs certains personnages du précédent roman de Gale traduit en français, L'aérodynamique du porc. À la différence de la série des Barbary Lane d'Armistead Maupin, Chronique d'un été est bien plus que ce que son titre (français) n’indique: un authentique roman, écrit, sensible, d'une grande subtilité. Un humour pince sans rire, typiquement old english, en moire les meilleures pages. Rien, finalement, d'énorme ou de télégénique dans tout cela, mais un excellent roman que l'on referme avec la nostalgie de ne plus l'avoir devant soi.

 

 

Éric Jourdan, Les Mauvais Anges, 1957

rééd. La Musardine 2005.

 

Le ciel était d'un bleu royal, d'une grandeur calme. Voilà comment débute ce livre aux métaphores fulgurantes. C'est le plus poétique d'Éric Jourdan, peut-être pas le plus achevé: il l'a écrit, paraît-il, à dix-sept ans. Je l'ai lu il y a bien longtemps (vingt-deux ans), quand j'avais l'âge des héros et de l'auteur: c'est celui où il faut le lire en priorité. Les Mauvais anges est tout à la fois une oeuvre d'une poésie incandescente et un livre de jeunesse violent, cruel, nietzschéen, qui fait l'apologie jusqu'à la nausée des jeunes hommes beaux et forts. Le mélange des deux crée un peu le malaise. Ce n'est pas toujours la fête dans ce grand livre maudit des années 1950. Mais il y a aussi ces pages sublimes:
« L'ombre envahit la chambre. J'en fus ébloui; mille clartés pétillaient encore sous mes paupières un instant plus tard quand le losange de la fenêtre se découpa sous le ciseau de la lune. Gérard m'avait pris la tête dans ses mains et me baisait la joue avec une tendresse d'enfant maternel. Il m'avait adopté ; le bonheur m'endormit » (fin du chapitre II). Un grand don que l'auteur a hélas si souvent galvaudé par la suite...

 

Depuis, il m'aurait fallu rajouter :

André Aciman, Plus tard ou jamais, éditions de l’Olivier, 2008.

Peter Cameron, Un Jour cette douleur te servira, Rivages, 2008.

Julia Glass, Jours de juin, Éditions des 2 terres, 2006.

Sans parler de tous ceux que je n'ai jamais trouvé le temps de chroniquer...

Si l'un de ces livres vous fait envie, il y a moyen notamment de les retrouver sur la liste que j'ai constituée sur Amazon.

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LGBT books for teens (post en français)

C'est une idée de gugusse que de parler en français de bouquins en anglais, mais j'assume. En effet, dans le post une déception/disappointment, j'ai balancé une liste de livres. Pour quelqu'un qui certes peut lire l'anglais mais n'a jamais mis le nez dans l'un de ces ouvrages, naviguer à vue n'est certainement pas une partie de plaisir. Je tiens à préciser que je ne suis pas bilingue. J'ai appris l'anglais à 25 ans pour partir dans le golfe Persique. Quelques années plus tard, après avoir fini Dreamboy de Jim Grimsley dans la traduction parue chez Anne-Marie Métailié (2003), j'ai voulu à tout prix lire le texte original. Je me le suis procuré. Comme j'avais la traduction à portée, je me suis plongé dedans. C'était le début d'une aventure faite de tâtonnements et de beaux plaisirs. En levant cette barrière, j'ai eu accès à un monde nouveau. Il arrive que ce soit très ardu (j'ai beaucoup souffert sur Setting the Lawn of Fire de Mack Kendrick et sur Stray de Sheri Joseph, deux très beaux livres dont la langue est difficile). La littérature pour teenagers et young adults a l'avantage d'être d'un accès plus facile que la moyenne.
 
Sanchez1.jpg Je n'ai pas exactement lu tous les livres de la liste, mais pas loin. Je crois bien que j'ai découvert le genre au travers de Geography Club de Brent Hartinger et de Rainbow Boys d'Alex Sanchez. Ce sont des livres extrêmement faciles d'abord : je n'ai même pas eu besoin d'ouvrir un dictionnaire. J'avais dû les trouver sur amazon.com. Le site américain présente l'avantage de donner accès à une liste thématique comme il n'en existe pas d'équivalent pour la France quand on fait des recherches en ligne.
De là, je suis passé à James Howe, Stephen Chbosky, A. M. Homes et à l'anthologie de Marion Dane Bauer. Sur ces entrefaites est paru le mémoire de Michael Cart et Chistine Jenkins, dont j'ai parlé dans "Disappointment". Il a le mérite de m'avoir fait découvrir des horizons nouveaux. C'est grâce à eux que j'ai découvert Aidan Chambers, Roger Larson et quelques autres. En revanche, la partie "young adults" de la liste est totalement de mon cru et prend "adult" dans un sens légal, en quelque sorte. J'ai lu en traduction la plupart des bouquins qui y figurent, ce qui change pas mal la donne. L'ensemble de la liste est centré sur des figures masculines de l'homosexualité. L'offre est tellement vaste en anglais que j'ai fait jusqu'à présent un vilain choix sexiste. Je compte lire bientôt Annie on My Mind, le livre célèbre de Nancy Garden. Ce sera le début de ma pénitence.
Il n'est pas question pour moi de vous offrir une quelconque synthèse, comme je l'ai fait pour les livres publiés en France. Si vous cherchez quelque chose de ce genre, vous pouvez toujours consulter le Cart & Jenkins. Pour l'heure, je n'ai fait que suivre la pente de mon plaisir de lecteur, limitée par mes compétences en anglais. La suite de ce post, sa partie principale, consiste à vous faire partager mes découvertes.
 
Sanchez2.jpgJ'éprouve une sensation assez ambivalente à l'égard de la série par laquelle je suis entré dans le monde des gay novels for young adults, et pourtant, j'ai dévoré les 3 livres avec énormément de plaisir. Il s'agit des trois rainbows d'Alex Sanchez: Rainbow Boys (2001), Rainbow High (2003) et Rainbow Road (2005). Ecrits dans une langue claire et sans fioritures, ils nous racontent la saga de trois ados très différents, Kyle Meeks, Nelson Glassman et Jason Carrillo, tout au long de leurs trois dernières années avant la graduation (l'équivalent du Bac, sans examen final, aux Etats-Unis). Nelson est un gay flamboyant, assez provoquant, traité comme un paria dans son lycée. Il vit seul avec sa mère, qui l'a toujours soutenu et qui forme avec lui un couple fusionnel. Son seul ami est Kyle, le très bon élève du lycée, par ailleurs membre du club de natation. Nelson est "secrètement" amoureux de Kyle, qui lui en pince depuis longtemps pour Jason, le prototype du "jock" (sportif), écartelé entre sa popularité de champion de basketball et une famille qui part à vau-l'eau. Les trois romans racontent des histoires de lycée: coming out, homophobie, amitié, SIDA, amour. Le point de vue passe de l'un à l'autre des trois garçons (même si le narrateur est toujours le même), circulant pour mieux mettre en contraste leurs différences et en même temps ce qui les unit. C'est extrêmement narratif, sans art autre que celui du conteur, mais dans le genre on peut difficilement faire plus captivant. N'eût été la volonté éducative de l'auteur (car il y a cette dimension-là aussi, même si elle est très discrète), on pourrait parler de littérature d'évasion. Alex Sanchez n'est jamais vulgaire ni sentimental à bon marché. Même si ailleurs je l'ai brocardé en le qualifiant de "Barbara Cartland", il vaut mieux que cela. Je pense que pour toute personne apte à lire un anglais ordinaire et qui voudrait se plonger dans des histoires d'ados gays, on ne peut pas faire plus adéquat. Je confesse que j'ai un très gros faible pour son personnage de Kyle...
Dans un genre assez voisin, Geography Club de Brent Hartinger est un livre à la fois plus schématique et plus militant. Il est encore plus facile à lire, mais ce n'est vraiment pas un livre inoubliable, en dehors de son intérêt culturel. Je n'ai pas lu le sequel, The Order of the Poison Oak (2005).
En revanche, pour des lecteurs plus jeunes, il existe des livres merveilleux: The Misfits (2001) et Totally Joe (2005) de James Howe, et The Boys and the Bees (2006) de Joe Babcock. Ces trois romans ont pour point commun d'être extraordinairement drôles. Quiconque a eu entre les mains du James Howe, célèbre écrivain pour enfants américain, sait la jubilation permanente que l'on éprouve en le lisant. The Misfits raconte comment un quatuor de parias, Bobby (le gros), Skeezie (le voyou), Addie (la fille intello pète-sec gauchiste) et Joe (la "tapette"), réunissent leurs forces pour combattre l'ostracisme dont ils sont les victimes. Ils ont une douzaine d'années, et c'est Bobby qui raconte l'histoire. Tout est absolument hilarant : le ton, les situations, les personnages, les jeux de mots. Ce livre a eu un impact tel que l'idée d'une "semaine sans insultes" (no name-calling week), inventée par James Howe via Bobby, est devenue une institution dans certaines middle schools américaines. Quatre ans plus tard, l'auteur a remis le couvert avec une suite que je trouve encore plus drôle et poignante, Totally Joe, dont le narrateur est cette fois Joe Bunch, personnage absolument mémorable de campitude fûtée. Il est à noter que James Howe a fait un coming out tardif (à la cinquantaine), si je ne m'abuse entre les deux livres. Il a prêté à son jeune personnage de treize ans son humour multiforme. Dans la même classe d'âge, avec presque autant d'humour, mais une dimension sexuelle absente des livres de Howe, j'ai énormément aimé The Boys and the Bees de Joe Babcock. Encore un triangle amoureux de garçons: Andy (le narrateur) est le seul copain de James, qui souffre d'une terrible réputation dans leur middle school où il ne fait pas bon être un sissy boy. James et Andy s'adonnent à de petits jeux assez mal vus de l'église catholique romaine à laquelle "appartient" leur univers. Mais Andy est près à toutes les trahisons pour plaire à Mark, le garçon le plus populaire de leur classe (encore un basketteur !). Le schéma est assez voisin des Rainbows, sauf que le ton est franchement plus humoristique, alors même que le climat de cette communauté catholique rigoriste est autrement plus flippant. Joe Babcock est beaucoup plus artiste qu'Alex Sanchez. Il vise un public plus jeune, sans pour autant faire de pudibonderie.
J'ai déjà parlé de Boy 2 Girl de Terence Blacker, parce qu'il a été traduit en français, mais l'original est bien plus savoureux que la traduction. J'ai également apprécié Jesus and Billy are off to Barcelona de la "best-selleuse" Deirdre Purcell (1999), sauf que je l'ai d'abord lu en français. C'est un livre d'une sécheresse élégante, aussi bref que surprenant. Sur le même créneau des préados, j'ai lu en anglais deux autres très beaux livres: Jack d'A. M. Homes (1989), raconte comment un adolescent découvre l'homosexualité de son père, sur fond de divorce de ses parents, et le laborieux apprentissage de l'acceptation ; What I know, now, de Roger Larson (1997), se passe durant les années 1950 et raconte l'amour très chaste d'un ado de 14 ans, Dave, pour un jeune adulte, Gene, qui vient jardiner chez sa mère divorcée. Tout est suggéré, il n'y a pas de coming out. C'est un roman délicat et habité par une nostalgie et une poésie délicates. Alex Sanchez a écrit deux livres pour cette tranche d'âge : So Hard To Say (2004) et Getting It (2006). Là aussi, il trace son sillon, en direction des gay teens.
 
Pour les déjà plus grands, il existe aussi deux anthologies, Am I Blue...? de Marion Dane Bauer et Not the Only One de Jane Summer, toutes les deux très bien, très diverses. Dans le premier, on découvre qu'une foule d'écrivains pour ados assez célèbres sont gays (Bruce Coville, Lois Lowry, Gregory Maguire), outre qu'y figurent certaines des plumes les plus célèbres de la littérature "gay themed" pour ados (Francesca Lia Block, Nancy Garden, M.E. Kerr, Jacqueline Woodson). Le second réunit plutôt des auteurs émergents, avec une dimension plus militante (le livre a été publié par Alyson, la maison d'édition du groupe qui publie le journal The advocate).

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J'ai déjà abondamment parlé de Dance on My Grave d'Aidan Chambers (1982). C'est le roman inégalé de la literature for young adults, sur l'amour entre garçons (voir mon post "une petite merveille"). Aux Etats-Unis, un autre livre remarquable a fait énormément scandale et se trouve black-listé dans de nombreux établissements scolaires : The Perks of Being a Wallflower de Stephen Chbosky (2001), un roman d'apprentissage écrit dans une langue délibérément neutre. Pourtant, c'est loin d'être l'ouvrage le plus emblématique sur le sujet. L'auteur dissèque avec un art froid de chirurgien les relations entre un jeune élève de seconde, précoce en anglais, et deux élèves de terminale, une fille et un garçon (homo).
Je n'ai pas encore lu un seul livre du prolifique Mark E. Roeder. J'ai rapidement éclusé en revanche le roman fort médiocre de Stephen Moore, Dancing in the Arms of Orion, l'un de ses disciples. C'est à peu près de la littérature de gare. Il y a d'ailleurs multiplication des livres assez insignifiants, maintenant qu'existe un créneau "ados gays". Heureusement, il se publie aussi des traductions : Brothers de Ted van Lieshout, dont j'ai dit combien je l'avais aimé, The center of the World de l'écrivain allemand très connu Andreas Steinhöfel (pas traduit en français à ma connaissance). Récemment, j'ai lu Sexy de Joyce Carol Oates, un roman terrifiant sur l'intolérance et la persécution, écrit à la manière d'un thriller, dans une langue qui évite tout pathos. Par-delà ce que son jeune héros Darren Flynn perçoit, dans sa progressive prise de conscience de la noirceur humaine, le lecteur lui voit encore plus loin et plus profond dans un océan de noirceur et de lâcheté.

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Stéphane Corbin

Il y a encore une grosse semaine, j'ignorais tout de Stéphane Corbin. En cherchant à améliorer l'un de mes articles ici, je suis tombé sur sa page sur Myspace, et j'ai écouté les quatre chansons qui y figuraient. Elles sont extraites d'un album intitulé Optimiste (2004), un titre quelque peu ironique, sinon amer. J'ai immédiatement été séduit, notamment par "Le Bol", récit de vie rageur dans la meilleure tradition de la chanson française. L'intéressé revendique de toutes autres références : Nick Drake, Leonard Cohen, Kate Bush. Il n'empêche que sa musique et l'astuce de ses textes l'inscrivent aussi dans une veine plus locale. Personnellement, j'ai pensé surtout à Romain Didier, Philippe Châtel et un peu à Bénabar (c'est l'association la plus évidente à la première écoute, mais elle est superficielle).
images.jpgL'album est arrivé par la poste et j'ai découvert le reste du disque. La moitié des textes a été écrite par son père et son frère. Comme il le souligne dans une interview, cette association n'est pas allée de soi : "Mon frère a été le premier à m’écrire des textes. Puis mon père s’y est mis. Pour situer le contexte, je dois dire que j’étais un adolescent difficile. A l’époque, je ne communiquais pas du tout avec mes parents. Mon père a écrit des textes quand j’ai commencé à composer. C’est ainsi que le contact s’est renoué, c’est la façon qu’il avait trouvée pour communiquer avec moi." La cohérence des thèmes laisse à penser que c'est un disque assez personnel, pour ne pas dire autobiographique. Les arrangements sont d'une très grande élégance, avec une assise de piano qui fait l'essentiel du cousinage avec Romain Didier (il y a aussi quelque chose dans le phrasé de la voix). Une mélancolie délicate baigne nombre de titres. Mais il y a aussi des chansons rigolotes, comme "Droit au but", qui commence ainsi :
docteur, j'ai longtemps hésité
avant de venir vous consulter
dame, voir un psy c'est pas facile
ça fout les jetons, on se demande s'il
ne va pas découvrir des choses
cachées au fond, des trucs qu'on n'ose
pas vraiment regarder en face
qui font tourner le dos à la glace
mais j'en pouvais plus de me faire mal
à me demander si je suis normal
à vivre rongé par le doute
j'aime pas le foot
La suite est à l'avenant... Même quand le ton est plus dur, l'ironie n'est jamais loin. Dans "Sainte-Jeanne des acouphènes", le mélange des genres entre le burlesque et le pathétique atteint une intensité qui rappelle les meilleurs titres de Clarika. A trois reprises, de "Juste à temps" à "Chaque seconde avec toi", en passant par "Les mouettes", revient l'histoire d'une séparation douloureuse, avec celle qui fut sans doute la compagne du chanteur. Au détour des mouettes il y a cet aveu :
j'ai des envies de liberté
tout ce que j'ai jamais osé, je vais l'essayer
je vais me goinfrer de sushis
et picoler toute la nuit, maintenant que je suis en vie
et puis j'aimerai des garçons
pour une nuit ou pour de bon
voir si je préfère pas les garçons
Le texte est de Stéphane Corbin. Un autre, de son frère, s'intitule "Avec un homme", et module sur le thème de "je vis avec un homme/ça ne devrait pas faire une histoire" un droit à l'indifférence vivement revendiqué. Voilà qui est dit. Son frère lui a aussi écrit un texte rigolo et doucement non-conformiste "Un homme d'intérieur", qui renverse les rôles de "genre". C'est là sans doute qu'on doit le plus penser à Bénabar, même s'il n'y a pas l'obsession baroque des détails qui fait la touche particulière de ce dernier. Dans une toute autre veine, "Dimanche 6 août" raconte une histoire très triste, bouleversante, avec une élégance qui rappelle les plumes les plus délicates de la chanson française.

corbin-stephane.jpg

En résumé, et sans vouloir dévoiler l'ensemble du disque, ce sont de bien belles promesses que nous offre Optimiste. J'aurai gagné ma peine si je vous ai donné envie d'aller y voir d'un peu plus près. On peut écouter quelques chansons sur Myspace et l'album peut se commander par un lien spécifique.

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livre ados à thématique homo : pioché parmi mes commentaires en ligne

 J'ai écrit un nombre considérable de petites critiques de livres sur des sites internet, notamment en littérature jeunesse. Pouquoi ne pas les centraliser ici ?

 

lieshout.jpgFrère de Ted Van Lieshout :

 

Ce roman pour jeunes adultes (comme on dit dans les pays anglo-saxons et scandinaves) est une très grande réussite. Sur un thème similaire au Cahier rouge de Claire Mazard, l'auteur explore l'histoire d'un deuil dans une fratrie. Luc et Marius sont proches en âge, même si Luc a mis son cadet à l'écart avec l'adolescence. Nous sommes dans les années 1970, aux Pays-Bas. Et Marius va mourir, après quoi, comme containt et forcé, Luc devra se plonger dans le journal intime qu'il a quasiment forcé son frère à tenir. L'histoire dévoile lentement ses diverses énigmes et le lecteur demeure scotché à cette très belle histoire. Entre Erwin Mortier et Ted van Lieshout, le monde flamand produit de très belles histoires. (sur adventice.com)

 

 

 

Entre les vagues de Claudine Galéa :galea-copie-1.jpg

 

Ce bref roman est une vraie merveille. Avec des phrases brèves et simples, Claudine Galéa met à nu une histoire entre amour et amitié, avec tous ses non-dits, ses élans, ses désespoirs. Elle ne se refuse pas quelques touches de poésie, ce qui n'est pas si fréquent dans la littérature pour adolescents. L'histoire, le cadre, la trame, tout pourrait être ici parfaitement banal s'il n'y avait cette façon lapidaire, un peu syncopée (comme dans le jazz ?), de dire ou de ne pas dire, d'effleurer, de rebondir. Une belle découverte. (sur adventice.com)

 

 

 

   deutsch.jpg Les Garçons de Xavier Deutsch

 

En lisant ce livre-météore publié dans une collection pour adolescents, je me suis souvent demandé ce qui avait motivé ce choix de parution, si ce n'est la fidélité de L'école des loisirs à Xavier Deutsch. Certes, les trois héros, Arthur, Clément et Frédéric, sont adolescents. Le narrateur de l'histoire est étrange et insaisissable, et prend parfois les traits du petit frère d'Arthur, Nicolas, treize ans. Une prof de français, baptisée She said par ses potaches béats d'admiration, les exhorte à brûler la vie comme Rimbaud (dont Arthur est l'homonyme...). Le titre dit à mon sens beaucoup sur le projet du livre, qui me semble être de capter la poésie que sécrète un adolescent regardant le monde et se mouvant en son sein. Il y a une dimension homo assez forte — bien que majoritairement implicite — qui a beaucoup à voir avec la sensualité du livre. Voilà un roman poétique et mystérieux, parfois mal fagoté, mais surprenant. On en sort avec davantage de spéculations que de certitudes, et c'est tant mieux. (sur adventice.com)

 

Elliot de Graham Gardner

Gardner.jpgElliot, garçon fluet et petit pour son âge, a fait l'objet des années durant de harcèlement dans son école anglaise. Pour mettre un terme à ce calvaire, la famille a déménagé et le garçon entre à la high school de Holminster, ancien établissement privé devenu public. Il lui faut assez peu de temps pour comprendre qu'au-delà de sa façade plus policée, le nouvel établissement est encore pire que l'ancien. Il y règne en effet un système de domination insidieux et fascistoïde. Pourtant, victime pendant des années, Elliot ne veut plus endurer la torture. Il va développer des stratégies pour échapper à la fatalité des exclus, au risque de devenir impassible au sort des autres. Sur le bashing (harcèlement) dans les écoles anglo-américaines, on n'a rien écrit d'aussi beau que ce roman de Graham Gardner. Rarement livre n'a été aussi loin dans la description des ruses par lesquelles une victime s'endurcit, au risque de devenir bourreau, tout en s'enfermant dans un monde de dissimulation et d'incommunicabilité. Je préviens tout de suite : ce livre n'a rien de gay. En revanche, il nous concerne tous, parce que sa réflexion sur la domination est universelle. Pour un adolescent, maltraité ou maltraitant, ou simplement spectateur de la violence scolaire, je crois qu'il apporte des repères essentiels. D'un point de vue littéraire, c'est un roman tout à fait remarquable. (sur adventice.com)

 

 

fox2.jpgLe cerf-volant brisé de Paula Fox

 

Malgré son lieu de publication, Le cerf-volant brisé est tout sauf un livre consensuel et facile d'abord. Cette histoire d'un préado qui découvre que son père est en train de mourir du SIDA est tout sauf complaisante et pleine de bons sentiments. Comme dans le reste de son oeuvre, Paula Fox déploie un art consommé pour décortiquer la faillite des êtres et les petits arrangements de la vie, sans jamais céder au dédain. Alors osons : et s'il s'agissait de son plus grand livre ? le plus âpre ? le plus dur ? Peut-être pas le roman idéal à mettre entre les mains d'un ado qui se cherche, mais un grand livre à lire à l'âge adulte, ou quand on a suffisament de force en soi ? (sur adventice.com)

 

gornet.jpg

Qui suis-je ? de Thomas Gornet

 

Ce bref roman de Thomas Gornet est remarquable à plus d'un titre. D'abord, c'est un livre « à hauteur d'ado », qui épouse complètement le point de vue de l'un d'entre eux, sans jamais faire de clin d'oeil à des lecteurs adultes. De ce fait, on n'a jamais une longueur d'avance sur Vincent, le narrateur et héros. Ensuite, il y a beaucoup d'humour, car Vincent en est rageusement doté. Enfin, Thomas Gornet est un dialoguiste remarquable qui sait capter la langue des jeunes (sans non plus donner dans le vulgaire) et faire passer énormément de choses par cette entremise. Grâce à quoi, on évite l'introspection psychologisante et les explications. Tout est dans la suggestion, les petits détails qui font mouche. Un livre idéal pour son public, mais aussi pour les adultes. Un auteur à suivre. (sur adventice.com)

 

lambert-1.jpgMeilleur ami de Jérôme Lambert :

 

Le jeune héros de cette histoire est un garçon de troisième, dont le meilleur ami, Nathan, est fou amoureux de Claire, une fille du collège. Nathan ne parle que d'elle, ne vit que pour elle. Son meilleur ami, lui, a décidé d'aider Nathan. Il l'écoute, le suit partout, l'observe, lui dédie un cahier. Plus le temps passe et plus il est absorbé par Nathan qui est absorbé par Claire. Jérôme Lambert a réalisé là un chef d'oeuvre d'humour dans lequel le lecteur comprend des choses que le narrateur n'a pas l'air de réaliser lui-même. Il n'y a pas de malignité là-dedans, juste une façon très subtile de suggérer l'éveil de sentiments amoureux qui peinent à devenir conscients. (sur amazon.fr)

 

 

Garçon ou fille de Terrence Blacker :

blacker.jpgVoici un roman hilarant et fûté, peut-être pas gay, mais assurément queer, à faire lire à tous les ados qui se prennent la tête avec les histoires de garçons et de filles. Matthew Burton, 13 ans, et ses parents coulent une vie paisible dans la périphérie de Londres, jusqu'à ce que débarque dans leur vie le neveu de Mme Burton, Sam, qui vient de perdre sa mère. Au premier abord, ce garçon est le prototype du petit macho américain, méprisant pour les moeurs anglaises, grossier, et d'un incroyable manque de tact. Intégré vaille que vaille dans la bande de son cousin, il multiplie les bourdes, jusqu'à susciter la colère du trio. Lesquels inventent une punition en apparence inacceptable : pour les avoir ridiculisés devant leurs trois ennemies, Sam devra aller au collège déguisé en fille pendant une semaine... Contre toute attente, Sam accepte. Et c'est là que le livre commence vraiment, multipliant les situations cocasses, à la limite du fantastique. Avec une habileté de sorcier, Terence Blacker multiplie les adversités et les dénoue avec une ingéniosité humoristique sidérante. Demeure une énigme : Sam lui-même, le seul personnage qui n'est jamais narrateur de l'histoire (c'est le seul), alors que tous les autres ont en quelque sorte leur point de vue à faire valoir. L'énervant petit américain se transforme en une personne de plus en plus riche et mystérieuse, de plus en plus queer. Et l'auteur a le tact de laisser le mystère s'épaissir au fil des pages. Très vivement recommandé. (sur adventice.com)

 

 

bernos.jpgPour toi, Anissa, je fonce à deux cents années lumière de Clothilde Bernos

 

La collection « les uns et les autres » est en train de s'imposer comme la plus gay friendly du monde de la littérature jeunesse. Ce roman de Clothilde Bernos évoque la difficulté d'un garçon de dix-sept ans, Louis, à tolérer la brutale affirmation d'une identité homosexuelle chez son père. En parallèle, le roman raconte l'idylle amoureuse entre le héros et Anissa, une courageuse beurette qui doit endurer la suspicion d'un grand frère aux idées plus qu'étroites. Bien que le parallélisme des situations soit évident, Clothilde Bernos a l'élégance de ne pas disserter, mais de vraiment raconter une belle histoire d'amour et de passage à l'âge adulte. Ses deux jeunes héros sont particulièrement attachants, surtout Anissa. Le père n'est pas traité comme un saint ou un martyr, ni d'ailleurs comme un salaud. A l'arrivée, cette absence générale de manichéisme et de pédagogie gnan-gnan rend ce livre fort sympathique. (sur adventice.com)

 

 

  lebourhis.jpgIl y a des nuits entières de Michel Le Bourhis

 

Ce roman de Michel Le Bourhis est une bonne surprise. D'abord, parce que dans l'efflorescence de livres pour adolescents qui parlent de sujets homos, il n'y a pas énormément d'histoires d'amour entre garçons (pour les filles c'est un peu mieux), de surcroît racontées par l'un des protagonistes. La liste des livres sur le SIDA, la mort, l'oncle, le grand-frère, etc., OK, mais n'en rajoutons plus ! Ensuite, autre bonne surprise : la narration n'est pas linéaire, sans être trop sophistiquée non plus. Le livre est véritablement écrit, même s'il ne va pas non plus révolutionner la littérature gay (mais ce n'est pas son but). Il y a des nuits entières fait face à ce que l'on espère : un roman ni miêvre ni tragique qui raconte l'histoire de deux garçons amoureux. Enfin, l'auteur a su ménager des ingrédients propres à stimuler un lectorat jeune : des énigmes qui se dissipent lentement, une langue « contemporaine » sans verser dans la vulgarité, de la pudeur sans pudibonderie. Bref, avec cette histoire de Nathan et Sylvain, voilà un roman grâce auquel les garçons adolescents pourront s'identifier ou se retrouver. Vivement recommandé pour les CDI, les bibliothèques, les parents ouverts, les cadeaux de toutes saisons ! (sur adventice.com)

 

vermot-2-copie-1.jpgMais il part... de Marie-Sophie Vermot:

 

Marie-Sophie Vermot s'est fait une spécialité d'écrire au coeur des problèmes adolescents, avec une élégance et parfois un humour qui en font l'une des meilleurs plumes françaises pour la jeunesse. Mais il part... est à ma connaissance son deuxième ouvrage parlant d'homosexualité masculine. Il n'y a chez elle ni complaisance ni misérabilisme. Les deux personnages d'adolescents sont assez formidables, aussi bien Saül que Bettina, la nièce de l'homme qui meurt du SIDA (Kyle). Au reste, l'histoire de leur amitié est le moteur principal de l'histoire, bien davantage que l'agonie de Kyle. M.-S. Vermot excelle aussi à capter les non-dits, les suspens, les élans brisés, entre Saül et les adultes tout particulièrement. Autre chose précieuse, le livre se clôt en laissant bien des portes ouvertes, ce qui est rare dans la littérature pour adolescents. (sur adventice.com)

 

 

luna.jpgLa face cachée de Luna de Julie-Anne Peters

 

La face cachée de Luna est un très beau livre. Parfois, l'auteure en fait peut-être un peu trop question dramatisation, mais il s'agit d'un pêché véniel. A ma connaissance, il s'agit du premier livre pour adolescent qui aborde de front la question des transsexuels. Alors, comme souvent dans ce type de livre sur les « douloureux problèmes », c'est un témoin oculaire (la petite soeur) qui raconte. Mais Julie Anne Peters a réussi à exprimer très fortement et violemment ce que Luna ressentait dans son désir d'être fille, et le broyeur social qui lui est renvoyé à la figure. Ce n'est pas un livre d'une folle gaieté (même si certains passages sont assez drôles), mais extrêmement poignant, et qu'il est difficile d'abandonner avant de l'avoir terminé.

 

 Mon frère et son frère de Hakan Lindquist

 

lindquist2.jpgMon frère et son frère a beaucoup de points communs avec Frère de Ted van Lieshout et "Mon coeur bouleversé" de Christophe Honoré. Dans les trois cas, il y a au coeur du livre le drame d'un frère mort dont on découvre peu à peu les joies et les peines. Le roman d'Hakan Lindquist est plus réaliste, plus social, moins poétique. Il fonctionne comme un roman policier anglais, avec une touche de suspense. A ce titre, c'est le genre de livre à éviter quand on veut se coucher tôt... Ce que l'on découvre peu à peu est bouleversant, mais il y a moins d'audace et de poésie que dans le roman de Lieshout, moins d'émotion contenue que dans le chef d'oeuvre de Christophe Honoré. Cela n'en demeure pas moins un bon livre. Recommandé pour les 14-17 ans ? (sur adventice.com)

 

 

poulet.jpgLes roses de cendre d'Erik Poulet-Reney

 

En ces temps de réhabilitation des déportés homosexuels durant la 2ème guerre mondiale, "Les roses de cendre" semble venir à point nommé. Ce qui sauve ce livre de tout pathos et de toute bonne conscience est sa fin (que je ne raconterai pas, rassurez-vous !) Ceci étant, l'histoire n'échappe pas à un certain nombre de schémas convenus (là encore, je la boucle, histoire de ne rien éventer, le livre fonctionnant sur une cascade de révélations...) La plume de l'auteur mérite le respect, n'eussent été certains tics à mi-chemin entre Yves Navarre et Henri Pourrat. Si je raisonne en termes de cible, je pense que l'histoire touchera plus facilement un lectorat féminin, entre 14 et 20 ans, ce que je regrette, car ce sont les ados mâles qu'il faudrait rendre sensibles à cette histoire. Mais pour cela, un autre abord eut été nécessaire. (sur adventice.com)

 

 

lou.jpgUn papillon dans la peau de Virginie Lou

 

Un papillon dans la peau est l'un des trop rares romans pour jeunes dont le narrateur est un ado amoureux des garçons. Par delà son lyrisme et son côté un peu échevelé, exalté, c'est un livre captivant et vif. Il se présente sous la forme d'un mixte entre journal intime et correspondance : Omar, garçon sensible, se confie à la belle-mère de son amoureux Alexandre. Celui-ci est par ailleurs doté d'un père macho et (le plus souvent) absent, mais qui soudain décide de faire de son fils un « vrai » homme. A partir de là , le livre bascule de la chronique lycéenne au road movie, devient presque une épopée - non sans une certaine dose d'auto-dérision (Omar, encore appelé langoustine, est tout sauf un surhomme). L'ensemble est très attachant. (sur adventice.com)

 

 

    donner-2.jpgLes lettres de mon petit frère de Christophe Donner

 

De tous les romans pour enfants de Chris Donner, celui-ci est sans doute le plus accompli. Cette description d'une famille un peu sinistre qui va s'enfermer pour des vacances au bord de la mer de plus en plus cauchemardesques est passablement croquignolette. Alors, bien sûr, il y a beaucoup de procédés et ça n'est pas très réaliste, mais le côté échevelé de l'intrigue est finalement un atout : ça évite le pathos et le message un peu lourd. L'auteur se contente de suggérer à quel point l'attitude des parents envers leur fils aîné homo est injuste. Et c'est grâce à la mécanique de l'absurde que l'auteur évite, élégamment, le livre à thèse. (sur amazon.fr)

 

 

 

    Noël, c'est couic ! de Christophe Honoré

 

couic.jpgLa relation père-fils est la grande affaire de Christophe Honoré, vue des deux points de vue, comme en témoigne ce dernier livre « pour (jeunes) enfants » en date. Parce qu'il aborde un thème fort d'aujourd'hui (l'homoparentalité) en le prenant complètement de biais, du point de vue d'un gamin rageur, ce joli livre m'apparaît comme l'un des plus réussis de son auteur. En somme, le fait qu'Anton a un papa doté d'un amoureux ne change strictement rien à la grande tragicomédie des relations familiales, ni à la stupeur qu'un enfant peut ressentir devant les comportements stupides de son géniteur. Bref, il s'agit d'un livre malicieux, bien écrit, touchant sans sensiblerie : à mettre entre toutes les mains. (sur adventice.com)

 

Un coeur grand comme ça de Cordula Tollmien

n pourrait, pour simplifier les choses, dire que Un coeur grand comme ça est un roman pour ados qui parle d'homoparentalité. Et effectivement, certains détails de l'histoire vont dans ce sens : Alex, une gamine de treize ans, fait un jour la connaissance d'une femme hors du commun, Ruth, qui petit à petit va devenir comme un nouveau membre de la famille et va peu à peu conquérir le coeur de sa mère, Anne, au grand dam de son père. Seulement, c'est un peu plus compliqué que cela. La relation entre Ruth et Anne est plus indécise qu'elle n'en a l'air, le père devient moins conformiste au fil des pages, d'autres personnages apparaissent... Au total, ce sont toutes les relations humaines qui sont recomposées autour de l'énergique figure de Ruth. Cornula Tollmien, à l'image de son charismatique personnage, défend surtout un idéal d'épanouissement des personnes qui se défie conventions et des schémas tout tracés. Voilà un message sympathique pour un livre ligne claire pas ennuyeux pour un sou. (sur adventice.com)

 

 

    smadja.jpgAdieu Maxime, de Brigitte Smadja

 

Ce livre, nonobstant ses aspects gay friendly, n'a rien de très exaltant. Il est écrit dans un style assez vulaire, dont la légitmité n'a rien d'évident. Quant au Maxime éponyme, c'est un parfait hétérocrate, n'eût été son oncle en train de mourir du « cancer gay ». On pourrait se demander à quoi rime la frilosité des auteurs français, qui parent leurs jeunes héros mâles de toutes les vertus viriles, comme s'il y avait un tabou à suggérer une quelconque ambiguïté. Encore ne s'agit-il là que d'un pêché véniel, au regard d'une éciture très convenue. (sur adventice.com)

 

 

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Romans pour ados à thématique homo : explications

Quand j’avais onze-douze ans, j’ai commencé à comprendre que j’en pinçais sérieusement pour les garçons. Mais à l’époque, il n’existait pas la moindre bouée pour affronter cet océan gris et hostile qu’on appelait « homosexualité » et qui sentait la pharmacie. Pas un livre, pas un film pour m’aider à comprendre et à me sentir moins seul. Il existait des trucs pour les adultes, mais je n’avais pas vraiment l’âge et j’ignorais leur existence... Il y avait bien la collection Signe de piste et ses garçons en shorts de scout, mais il n’y avait rien de clairement gay là-dedans : il fallait lire entre les lignes. Et puis j’ai découvert plus tard que certains auteurs de cette maison d’édition étaient franchement peu présentables (genre pédophiles et/ou fachos).
elva.jpg Depuis cette époque un peu triste, les choses ont bien changé : plus particulièrement ces quinze dernières années l’édition pour ados s’est beaucoup développée, et on a vu apparaître de plus en plus de romans qui, sans être toujours franchement gays ou lesbiens, évoquent cette thématique — avec plus ou moins de réussite. Après une période où les associations catholiques hurlaient à la perversion de la jeunesse, plus personne ne remet en cause l’importance d’offrir aux adolescents, garçons et filles, des livres auxquels ils peuvent s’identifier ou qui les aideront à devenir tolérants... Certes, on a vu encore il y a quelques années les éditions Bayard refuser de publier dans un de leurs journaux la BD de Tito Le pari (par ailleurs d'une laideur graphique spectaculaire), mais hormis cela, c’est le printemps !

 Si les années 1990 ont vu le "douloureux problème" émerger dans la littérature jeunesse, un changement essentiel est survenu depuis 1999-2000 : jusque là, il s’agissait surtout de raconter comment de jeunes hétéros rencontraient l’homosexualité chez un proche (parent, frère, ami) et, à l’issue d’un processus plus ou moins long, devenaient des défenseurs convaincus du droit à la différence ; désormais, on voit apparaître des histoires dont le personnage principal est un(e) adolescent(e) faisant l’apprentissage de son homosexualité. Pour mineure qu’elle puisse sembler au premier abord, la nuance est essentielle : quand on a douze ou même seize ans, s’identifier au personnage principal est fondamental. On peut imaginer que les maisons d’édition ont mis un certain temps avant d’oser ce second pas, qui peut s’avérer financièrement risqué : rares sont encore les affirmations précoces et la honte, notamment en milieu scolaire, perdure. Il y a donc le risque de voir ces livres ne pas bien se vendre. On doit aussi lier cette inflexion à l’émergence d’auteurs sans complexes, désireux d’exprimer les sentiments que l’on traverse dans cette situation : je pense tout particulièrement à Franck Secka, Jérôme Lambert, Corinne Gendraud, Thomas Gornet et Claire Mazard.

fox2.jpgEncore faudrait-il que les ados sachent que ces livres existent. D’où la liste que j'ai publiée. Elle essaie d’être aussi riche que possible, et s’enrichira régulièrement avec des nouveautés. J’y ai fait figurer des indications d’âge, mais je reconnais que c’est subjectif et que d’un lecteur à l’autre le moment où un livre « parle » varie. J'aimerais pouvoir adjoindre des commentaires renvoyant à chaque ouvrage, mais je ne brille pas par mon savoir-faire technique. La liste que j’ai constituée a l’ambition d’être exhaustive. Par conséquent, elle met ensemble des livres pour lesquels je n’ai pas la même affection, la même considération… La vocation des lignes qui suivent est d’exprimer un commentaire global sur cette production, en faisant des comparaisons diverses et en formulant un certain nombre de jugements de valeur qui n’engagent bien évidemment que moi.

 

vermot-1.jpgTous les livres contenus dans la liste, à l’exception peut-être de Comme le font les garçons, présentent l’attirance pour une personne du même sexe comme quelque chose de positif, même si l’apprentissage de cette positivité est parfois le propos même du livre : dans Le Cerf volant brisé de Paula Fox, le jeune héros Liam réalise que son père est homosexuel en même temps qu’il apprend que ce dernier est malade du SIDA, et toute l’histoire consiste à raconter son acceptation progressive de cet état de fait. Dans Adieu Maxime ou Sweet homme, l’apprentissage du respect est également centrale, à telle enseigne que ces livres semblent parfois voués à enseigner la tolérance. On retrouve quelque chose de similaire dans Pour toi, Anissa, je fonce à deux cents années lumière, de Clothilde Bernos, même si le livre est plus complexe dans son schéma narratif. Certains auteurs francophones, en majorité hétérosexuels, ont un propos implicitement éducatif. C’est évident pour Brigitte Smadja, Didier Jean et Zad, Marie-Sophie Vermot, mais moins pour Marie-Aude Murail, qui offre d’abord sa jubilation d’écrivain dans Oh, boy !. Le livre de Franck Andriat, Tabou, est sans doute celui qui va le plus loin et le plus délibérément sur la voie éducative ; mais il a la particularité de mettre au centre de l’histoire un héros homosexuel (Philippe), ce qui évite la mise à distance des romans gay friendly. En revanche, il en résulte une sorte de caractère schématique du récit et des personnages (qui sont assez archétypiques : l’homo honteux, celui qui a le courage de s’assumer, le copain hétéro qui met de l’eau dans son vin, la « fille à pédés », etc.). Le livre de Guillaume Bourgault, Philippe avec un grand H, est, plus encore que Tabou, une sorte de catéchisme de l’acceptation de soi, mais à destination des jeunes gays essentiellement. Fort sympathique par ses intentions et sa valeur de témoignage, ce livre est pour le reste assez mauvais du point de vue de l’écriture et de l’intérêt romanesque.
honore-12.jpg Les auteurs gays qui mettent au centre de leur histoire un personnage hétérosexuel évacuent en général cette dimension problématique de l’acceptation de l’homosexualité : le petit frère de Christophe Donner accepte d’emblée les orientations de son grand frère, de même que petit Marcel à l’égard de Léo chez Christophe Honoré (dans Tout contre Léo et dans Mon cœur brisé). Les frères et sœurs (et les amis) incarnent ici une sorte d’idéal, et l’orientation sexuelle devient un simple attribut que donner-2.jpgl’amour fraternel prend en charge comme le reste. Cette évidence est peut-être liée à la classe d'âge visée par ces livres (des enfants). Il y a la même évidence dans Noël, c'est couic ! de Christophe Honoré et On m'a oublié de Guillaume Le Touze, qui s'adressent également à un public de moins de 10 ans.
Hâvre ou repoussoir, la famille est évidemment la grande affaire de presque tous ces livres, avec des modulations un peu binaires entre acceptation (la famille cocon) et refus inexpugnable. Pourtant, rares sont les livres qui sont centrés sur l’acte de la révélation (ce qu’on appelle coming out ou «sortie», chez les Québécois) : Macaron citron
de Claire Mazard et Tous les garçons et les filles de Jérôme Lambert explorent la question de l’intérieur, avec une grande délicatesse pour le second. Sweet homme et Le cahier rouge sont des variations sur l’envers des aveux : la façon dont ils sont ressentis par ceux à qui ils sont destinés. Quant au À pic de Franck Secka, il explore une autre modalité de la situation : ce qui s’affirme chez le héros, Jean, devient évident sans vraiment en passer par le dire. C’est d’ailleurs l’un des aspects stimulants de ce livre réfractaire aux situations convenues. En ce sens, les romans français divergent de leurs homologues anglo-saxons, pour lesquels la révélation à la famille et aux proches est le sujet majeur.
gornet.jpgCertains auteurs francophones se sont même ingéniés à exprimer une homosexualité qui ne s'est pas encore révélée à elle-même, qui demeure dans les limbes : c'est le cas dans Meilleur ami de Jérôme Lambert, Qui suis-je ? de Thomas Gornet et Le Secret d'Anita van Belle. Parfois, le rideau se déchire, mais pas toujours : Jérôme Lambert s'amuse jusqu'au bout avec les naïvetés de son personnage, tandis qu'au contraire Thomas Gornet a fait le pari de nous donner à vivre sans surplomb la prise de conscience de son héros. Le personnage central d'Il y a des nuits entières de Michel le Bourhis est lui aussi dans un processus de réalisation de lui-même, mais plus avancé.

Dans les livres un peu anciens, le thème de l'agonie et du deuil est omniprésent, ainsi dans les romans qui parlent du SIDA : Le Cerf volant brisé, La Nuit du concert de M.-E. Kerr, la saga "Léo" de C. Honoré, Adieu Maxime de B. Smadja et Mais il part de Marie-Sophie Vermot. Dans la littérature jeunesse, le SIDA est toujours vu de l'extérieur, du moins dans les livres qui articulent cette maladie avec l'homosexualité. Particulier est le cas des Roses de cendre d'Erik Poulet-Reney, qui évoque la déportation des homosexuels par les Nazis.

mazard-g-copie-1.jpgMais le thème du deuil ne se réduit pas au SIDA ou à la déportation : on le retrouve aussi dans Le Cahier rouge de Claire Mazard, Mon frère et son frère de Hakan Lindquist, Frère de Ted van Lieshout, C'était mon ami d'Anneke Scholtens... Il faut bien avouer qu'un nombre très élevé de romans pour ados parlant d'homosexualité ont un caractère assez lugubre, y compris des livres d'une grande beauté comme Frère (déjà cité) et Point de côté d'Anne Percin. S'agit-il d'exprimer une forme de tragique qui serait attaché à la condition homosexuelle ? J'avoue que c'est une idée assez désagréable, assez hétéro pour le coup. D'ailleurs, les écrivains gays, notamment francophones, notamment les plus contemporains, ont remisé la mort dans son placard : on meurt de moins en moins dans les livres récents.
rippert.jpg Une certaine fantaisie un peu queer apparaît dans Un papillon dans la peau de Virginie Lou et Différents de Maryvonne Rippert, mais ce ne sont pas des livres très bien fagotés. De l'humour il y a chez Thomas Gornet, Jérôme Lambert, Marie-Aude Murail (obviously !), Franck Secka, et évidemment dans La Danse du coucou d'Aidan Chambers, dont j'ai déjà parlé dans un autre billet. Cela reste tout de même le grand deal du futur : un roman d'amour LGBT pour adolescents à la fois poétique, drôle, bien écrit, émotionnellement fort, et sans cadavres...

galea-copie-1.jpgIl est difficile de recommander tel ou tel livre en disant : c'est par celui-là qu'il faut commencer. Cela dépend tellement des lecteurs... Pour un ado garçon assez jeune chez qui des choses seraient en train d'émerger, je recommanderais Entre les vagues de Claudine Galéa, À pic de Franck Secka, Meilleur ami et Tous les garçons et les filles de Jérôme Lambert, Qui suis-je ? de Thomas Gornet et Jesus et Billy s'en vont à Barcelone de Deirdre Purcell. Pour les filles, il y aurait Macaron citron de Claire Mazard et La vie comme Elva de Jean-Paul Nozière. Je ne connais pas aussi bien les romans à thème lesbien, parce qu'il y en a moins et que je ne les ai pas encore tous lus. J'aime assez Le Bâillon de Corinne Gendraud, mais c'est pour des adolescentes déjà assez mûres. Côté histoires de garçons, le chef d'oeuvre poétique du genre, c'est incontestablement Entre les vagues de Claudine Galéa. J'ai un amour tout particulier, comme lecteur adulte, pour La Danse du coucou, à mes yeux un grand livre. J'ai aussi énormément d'affection pour Point de côté d'Anne Percin, Frère de Ted van Lieshout et Les garçons de Xavier Deutsch (un OVNI). Il ne faudrait pas oublier Luna de Julie-Anne Peters, qui parle de la transexualité non sans pathos, mais avec beaucoup de force. Maintenant, il s'agit d'un choix littéraire d'adulte. L'idéal serait que les bibliothèques disposent du maximun de ces livres pour laisser aux lecteurs auxquels ces livres sont destinés la possibilité de choisir.

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Chanson française et homosexualité

Cela fait un nombre incalculable d'années que je veux écrire sur ce sujet. Pour l'heure, ce sera un work in progress, que j'aimerais faire petit à petit évoluer. Ne m'en veuillez pas si vous ne retrouvez pas telle ou telle référence, parce que je n'ai pas l'intention d'être exhaustif. En outre, hormis Juliette et quelques textes épars, je ne m'y connais pas super bien du côté lesbien (honte à moi). Tant que ce paragraphe figurera tel quel, cela voudra dire que mon travail n'est pas terminé. Déjà, j'ai rajouté un lecteur Deezer ailleurs.
 
217l.jpg D'autres ont déjà écrit sur la question, tel Michel Larrivière dans sa belle anthologie Pour tout l'amour des hommes (p. 334-337 de la réédition chez Deletraz). Comme dans bon nombre d'autres champs d'expression, l'homosexualité a d'abord été un sujet de farce ou de rejet, même à la "grande époque" : rappelons-nous (avec Larrivière) Georges Brassens (Les Copains d'abord, Le Gorille, etc.), Jacques Brel (Les Bonbons 67), Georges Chelon, etc. Quant à Charles Trenet, il a fallu attendre quasiment sa disparition pour que sa carrière soit éclairée d'une autre lumière.
Ici comme ailleurs, les années 1970 ont été le moment d'un changement de ton, qui se manifeste entre autres chez Patrick Juvet (Il faut mourir d'amour), Il était une fois (La triste histoire de William Carpenter), William Sheller (l'album Dans un vieux Rock'N'Roll, de 1976, est le plus explicite de toute sa production), Fabienne Thibeault (Un garçon pas comme les autres, 1978, dans Starmania). C'est durant ces années-là que Dick Annegarn fait son coming out, qui est une première dans le monde de la chanson. Et à l'orée des années 1980, Francis Lalanne chante La plus belle fois qu'on m'a dit je t'aime et Jean Guidoni débute sa carrière avec l'album Je marche dans les villes. Plusieurs chansons écrites par Pierre Philippe sont une plongée dans l'univers du chanteur : "Je marche dans les villes", "Midi Minuit", etc.
Moi, je suis celui qui drague
Les chantiers, les terrains vagues
Le passant dérisoire
Pressentant le rasoir
A défaut de la dague
(Je marche dans les villes)
Qu'on soit des beaux quartiers ou qu'on soit de Nanterre
On a sa place ici pourvu qu'on soit damné
Ou damné de l'amour ou damné de la terre
C'est notre enfer à nous. L'enfer est un ciné
(Midi Minuit)

Jean Gudoni, circa Je marche dans les villes

Sheller, Annegarn, Guidoni : trois grands artistes, trois façons de parler d'amour entre hommes. Je reviendrai (un jour, j'espère) sur chacun d'entre eux dans des textes spécifiques.
 

dick982.jpg

Dick, période approche toi !
 
Les années 1980 ont sans doute plus parlé de SIDA que d'homosexualité, et Barbara a montré la voie de sa voix devenue chevrôtante (Sid'amour à mort). De toutes les égéries que les gays se sont donnés, cela me semble la plus concaincante artistiquement parlant. Il y a d'ailleurs d'innombrables chansons d'elle qui pourraient très bien être chantées par un homme : Madame, Pierre, Un homme, et bien d'autres encore. J'ai souvent imaginé un chansonnier gay reprenant en les détournant un certain nombre de chansons d'amour écrite par ou pour des femmes, et nul doute que Barbara figurerait en première ligne.
Autre égérie sympathique : Anne Sylvestre, qui a écrit une très belle chanson intitulée Xavier :

Quand il était encore bébé
Xavier
Voyant sa mère qui pouponnait
Son cadet
Voulant tout faire comme maman
Tendrement
Langeait et berçait son ourson

Sans façons
(etc.)

 

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Sheller en concert à Sully-sur-Loire
 
A la différence d'autres champs artistiques, la chanson n'est pas devenue un lieu de banalisation de l'homosexualité. J'imagine que cela tient au peu d'intérêt d'une partie de ce que l'on appelle la "communauté gay" pour un moyen d'expression associé à des musiques jugées ringardes. Les talents qui ont émergé ces dernières années - ce qu'on appelle un peu abusivement "la nouvelle chanson française" - abritent peut-être des gays ou des bisexuel(le)s, mais cela reste un secret bien gardé. Certaines chanteuses ont écrit des textes très gay-friendly, telles Clarika (Avec Luc, Deux anglaises), Jeanne Cherhal (Madame Suzie), Zazie (Adam et Yves). On ne peut pas en dire autant de leurs confrères, très hétérocentrés (sauf Benjamin Biolay avec "Glory Hole" dans l'album Négatif) . Ce sont des chanteurs plus âgés comme Romain Didier (A quoi ça tient, dans l'album J'ai noté), Allain Leprest (Nicole ou Nicolas) ou Renaud (Petit pédé) qui ont relevé le gant.


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Nicolas Bacchus

Pourtant, les "jeunes" chanteurs qui osent une identité pleinement assumée existent : outre Juliette, je pense à Castex, à Eric Maïolino et surtout à Stéphane Corbin et Nicolas Bacchus. Sur un mode plus flou, Pierre Lapointe dit des choses qui, pour rester implicites, n'en demeurent pas moins assez transparentes. A part Juliette et Pierre Lapointe, ce ne sont pas vraiment des artistes qui ont le vent en poupe, comme s'il y avait des façons de dire qui confinaient dans une marge trop étroite. C'est d'autant plus attristant qu'un Nicolas Bacchus a un talent considérable. De lui aussi je reparlerai, car il mériterait un succès équivalent aux Fersen, Bénabar et autres Delerm de sa génération. J'ai déjà mis en ligne un texte sur Stéphane Corbin, pour dire tout le bien que je pense de son album Optimiste. Je reparlerai de Pierre Lapointe aussi car il est assez amusant de "décoder" sa Forêt des mal-aimés.
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Pierre Lapointe
 
 
Indécisions ?
Restent tous ces chanteurs dont certains textes intriguent par leur ambivalence : ainsi dans le premier album de Florent Marchet, Gargilesse (2004), ou L'éternité de l'instant (2005) de Romain Humeau. Ces deux disques sont un enchantement, chacun à sa manière. Dans le premier, il n'y avait pas la moindre histoire d'amour, mais des chansons comme "Dimanche", racontant la fin d'une histoire sans que l'on sache qui était parti : "Tu n'as rien calculé / En laissant sur la table / Nos vies inconfortables / Et le double des clefs". Le climax est atteint dans "Le meilleur de nous deux", une histoire d'amitié qui confine à l'amour et à la haine : "Mon ami abattu / Sans passer aux aveux / On a perdu de vue / Le meilleur de nous deux". A l'inverse, les histoires féminines tournent au sinistre : "Avez-vous déjà songé", récit au scalpel d'une débandade, au propre et au figuré, sans parler du "Terrain de sport" et ses amours furtives et désabusées. Florent Marchet est un très grand. Son deuxième album, Rio Barril, n'a pas confirmé dans cette veine ambiguë, rentrant dans un chemin dédié aux filles. D'ailleurs, sur scène, il ne fait plus de "bisous" à son très joli (et brillant) guitariste, François Poggio.
 
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Florent Marchet
 
L'éternité de l'instant de Romain Humeau est un disque âpre, dont les médias ont peu parlé. Certaines chansons sont de splendides hymnes à une femme, comme Toi. D'autres sont totalement ambiguës, comme Beauté du diable, Prends ma main ou Je m'en irai toujours.
Parc'que la différence se paie cher,
que l'ardoise est cassée,
Tu n'peux plus rembourser
les lambeaux de ma chair,
à ta décharge, comme un atoll froissé
[...]
Parce que mes mains comptent
six doigts et que j'en réserve cinq pour toi
Te caresser, mon amour, ou enculer
un énième redneck et sa réalité
(Je m'en irai toujours)
 
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Stéphane Corbin
 

Déjà, il y a plus longtemps, dans certaines chansons de François Béranger, Francis Lalanne ou des Charts, il y avait cette indécision, qui parfois devenait tout à fait limpide.
Vivre mes différences
ou sauver les apparences,
prisonnier de jolis mensonges
quand la peur de la vérité me ronge.
Entre rêve et réalite
je cherche mon identité
pourquoi c'est laid ? pourquoi c'est beau ?
qui connaît le vrai du faux
Charts, "Je ris je pleure" dans L'Océan sans fond (1989)


Les chansons foncièrement ambiguës ne sont pas les plus désagréables, car elles ouvrent un espace de spéculations toujours renouvelées. Elles portent une poésie intrinsèque dans l'incertitude et le neutre. Du moins est-ce mon point de vue. Ce sera tout pour l'instant. Je suis tout à fait ouvert à toutes les réactions possibles. N'hésitez pas !
 

Une liste figure sur Wikipedia par intermittences. La plupart des chanteurs évoqués ici ont un site officiel désormais, tels  Jean Guidoni, William Sheller, Dick Annegarn, Nicolas Bacchus, Juliette, etc.

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