J'ai écrit un nombre considérable de petites critiques de livres sur des sites internet, notamment en littérature jeunesse. Pouquoi ne pas les centraliser ici ?
Frère de Ted Van Lieshout :
Ce roman pour jeunes adultes (comme on dit dans les pays anglo-saxons et scandinaves) est une très grande réussite. Sur un thème similaire au Cahier rouge de Claire Mazard, l'auteur explore l'histoire d'un deuil dans une fratrie. Luc et Marius sont proches en âge, même si Luc a mis son cadet à l'écart avec l'adolescence. Nous sommes dans les années 1970, aux Pays-Bas. Et Marius va mourir, après quoi, comme containt et forcé, Luc devra se plonger dans le journal intime qu'il a quasiment forcé son frère à tenir. L'histoire dévoile lentement ses diverses énigmes et le lecteur demeure scotché à cette très belle histoire. Entre Erwin Mortier et Ted van Lieshout, le monde flamand produit de très belles histoires. (sur adventice.com)
Entre les vagues de Claudine Galéa :
Ce bref roman est une vraie merveille. Avec des phrases brèves et simples, Claudine Galéa met à nu une histoire entre amour et amitié, avec tous ses non-dits, ses élans, ses désespoirs. Elle ne se refuse pas quelques touches de poésie, ce qui n'est pas si fréquent dans la littérature pour adolescents. L'histoire, le cadre, la trame, tout pourrait être ici parfaitement banal s'il n'y avait cette façon lapidaire, un peu syncopée (comme dans le jazz ?), de dire ou de ne pas dire, d'effleurer, de rebondir. Une belle découverte. (sur adventice.com)
Les Garçons de Xavier Deutsch
En lisant ce livre-météore publié dans une collection pour adolescents, je me suis souvent demandé ce qui avait motivé ce choix de parution, si ce n'est la fidélité de L'école des loisirs à Xavier Deutsch. Certes, les trois héros, Arthur, Clément et Frédéric, sont adolescents. Le narrateur de l'histoire est étrange et insaisissable, et prend parfois les traits du petit frère d'Arthur, Nicolas, treize ans. Une prof de français, baptisée She said par ses potaches béats d'admiration, les exhorte à brûler la vie comme Rimbaud (dont Arthur est l'homonyme...). Le titre dit à mon sens beaucoup sur le projet du livre, qui me semble être de capter la poésie que sécrète un adolescent regardant le monde et se mouvant en son sein. Il y a une dimension homo assez forte — bien que majoritairement implicite — qui a beaucoup à voir avec la sensualité du livre. Voilà un roman poétique et mystérieux, parfois mal fagoté, mais surprenant. On en sort avec davantage de spéculations que de certitudes, et c'est tant mieux. (sur adventice.com)
Elliot de Graham Gardner
Elliot, garçon fluet et petit pour son âge, a fait l'objet des années durant de harcèlement dans son école anglaise. Pour mettre un terme à ce calvaire, la famille a déménagé et le garçon entre à la high school de Holminster, ancien établissement privé devenu public. Il lui faut assez peu de temps pour comprendre qu'au-delà de sa façade plus policée, le nouvel établissement est encore pire que l'ancien. Il y règne en effet un système de domination insidieux et fascistoïde. Pourtant, victime pendant des années, Elliot ne veut plus endurer la torture. Il va développer des stratégies pour échapper à la fatalité des exclus, au risque de devenir impassible au sort des autres. Sur le bashing (harcèlement) dans les écoles anglo-américaines, on n'a rien écrit d'aussi beau que ce roman de Graham Gardner. Rarement livre n'a été aussi loin dans la description des ruses par lesquelles une victime s'endurcit, au risque de devenir bourreau, tout en s'enfermant dans un monde de dissimulation et d'incommunicabilité. Je préviens tout de suite : ce livre n'a rien de gay. En revanche, il nous concerne tous, parce que sa réflexion sur la domination est universelle. Pour un adolescent, maltraité ou maltraitant, ou simplement spectateur de la violence scolaire, je crois qu'il apporte des repères essentiels. D'un point de vue littéraire, c'est un roman tout à fait remarquable. (sur adventice.com)
Le cerf-volant brisé de Paula Fox
Malgré son lieu de publication, Le cerf-volant brisé est tout sauf un livre consensuel et facile d'abord. Cette histoire d'un préado qui découvre que son père est en train de mourir du SIDA est tout sauf complaisante et pleine de bons sentiments. Comme dans le reste de son oeuvre, Paula Fox déploie un art consommé pour décortiquer la faillite des êtres et les petits arrangements de la vie, sans jamais céder au dédain. Alors osons : et s'il s'agissait de son plus grand livre ? le plus âpre ? le plus dur ? Peut-être pas le roman idéal à mettre entre les mains d'un ado qui se cherche, mais un grand livre à lire à l'âge adulte, ou quand on a suffisament de force en soi ? (sur adventice.com)
Qui suis-je ? de Thomas Gornet
Ce bref roman de Thomas Gornet est remarquable à plus d'un titre. D'abord, c'est un livre « à hauteur d'ado », qui épouse complètement le point de vue de l'un d'entre eux, sans jamais faire de clin d'oeil à des lecteurs adultes. De ce fait, on n'a jamais une longueur d'avance sur Vincent, le narrateur et héros. Ensuite, il y a beaucoup d'humour, car Vincent en est rageusement doté. Enfin, Thomas Gornet est un dialoguiste remarquable qui sait capter la langue des jeunes (sans non plus donner dans le vulgaire) et faire passer énormément de choses par cette entremise. Grâce à quoi, on évite l'introspection psychologisante et les explications. Tout est dans la suggestion, les petits détails qui font mouche. Un livre idéal pour son public, mais aussi pour les adultes. Un auteur à suivre. (sur adventice.com)
Meilleur ami de Jérôme Lambert :
Le jeune héros de cette histoire est un garçon de troisième, dont le meilleur ami, Nathan, est fou amoureux de Claire, une fille du collège. Nathan ne parle que d'elle, ne vit que pour elle. Son meilleur ami, lui, a décidé d'aider Nathan. Il l'écoute, le suit partout, l'observe, lui dédie un cahier. Plus le temps passe et plus il est absorbé par Nathan qui est absorbé par Claire. Jérôme Lambert a réalisé là un chef d'oeuvre d'humour dans lequel le lecteur comprend des choses que le narrateur n'a pas l'air de réaliser lui-même. Il n'y a pas de malignité là-dedans, juste une façon très subtile de suggérer l'éveil de sentiments amoureux qui peinent à devenir conscients. (sur amazon.fr)
Garçon ou fille de Terrence Blacker :
Voici un roman hilarant et fûté, peut-être pas gay, mais assurément queer, à faire lire à tous les ados qui se prennent la tête avec les histoires de garçons et de filles. Matthew Burton, 13 ans, et ses parents coulent une vie paisible dans la périphérie de Londres, jusqu'à ce que débarque dans leur vie le neveu de Mme Burton, Sam, qui vient de perdre sa mère. Au premier abord, ce garçon est le prototype du petit macho américain, méprisant pour les moeurs anglaises, grossier, et d'un incroyable manque de tact. Intégré vaille que vaille dans la bande de son cousin, il multiplie les bourdes, jusqu'à susciter la colère du trio. Lesquels inventent une punition en apparence inacceptable : pour les avoir ridiculisés devant leurs trois ennemies, Sam devra aller au collège déguisé en fille pendant une semaine... Contre toute attente, Sam accepte. Et c'est là que le livre commence vraiment, multipliant les situations cocasses, à la limite du fantastique. Avec une habileté de sorcier, Terence Blacker multiplie les adversités et les dénoue avec une ingéniosité humoristique sidérante. Demeure une énigme : Sam lui-même, le seul personnage qui n'est jamais narrateur de l'histoire (c'est le seul), alors que tous les autres ont en quelque sorte leur point de vue à faire valoir. L'énervant petit américain se transforme en une personne de plus en plus riche et mystérieuse, de plus en plus queer. Et l'auteur a le tact de laisser le mystère s'épaissir au fil des pages. Très vivement recommandé. (sur adventice.com)
Pour toi, Anissa, je fonce à deux cents années lumière de Clothilde Bernos
La collection « les uns et les autres » est en train de s'imposer comme la plus gay friendly du monde de la littérature jeunesse. Ce roman de Clothilde Bernos évoque la difficulté d'un garçon de dix-sept ans, Louis, à tolérer la brutale affirmation d'une identité homosexuelle chez son père. En parallèle, le roman raconte l'idylle amoureuse entre le héros et Anissa, une courageuse beurette qui doit endurer la suspicion d'un grand frère aux idées plus qu'étroites. Bien que le parallélisme des situations soit évident, Clothilde Bernos a l'élégance de ne pas disserter, mais de vraiment raconter une belle histoire d'amour et de passage à l'âge adulte. Ses deux jeunes héros sont particulièrement attachants, surtout Anissa. Le père n'est pas traité comme un saint ou un martyr, ni d'ailleurs comme un salaud. A l'arrivée, cette absence générale de manichéisme et de pédagogie gnan-gnan rend ce livre fort sympathique. (sur adventice.com)
Il y a des nuits entières de Michel Le Bourhis
Ce roman de Michel Le Bourhis est une bonne surprise. D'abord, parce que dans l'efflorescence de livres pour adolescents qui parlent de sujets homos, il n'y a pas énormément d'histoires d'amour entre garçons (pour les filles c'est un peu mieux), de surcroît racontées par l'un des protagonistes. La liste des livres sur le SIDA, la mort, l'oncle, le grand-frère, etc., OK, mais n'en rajoutons plus ! Ensuite, autre bonne surprise : la narration n'est pas linéaire, sans être trop sophistiquée non plus. Le livre est véritablement écrit, même s'il ne va pas non plus révolutionner la littérature gay (mais ce n'est pas son but). Il y a des nuits entières fait face à ce que l'on espère : un roman ni miêvre ni tragique qui raconte l'histoire de deux garçons amoureux. Enfin, l'auteur a su ménager des ingrédients propres à stimuler un lectorat jeune : des énigmes qui se dissipent lentement, une langue « contemporaine » sans verser dans la vulgarité, de la pudeur sans pudibonderie. Bref, avec cette histoire de Nathan et Sylvain, voilà un roman grâce auquel les garçons adolescents pourront s'identifier ou se retrouver. Vivement recommandé pour les CDI, les bibliothèques, les parents ouverts, les cadeaux de toutes saisons ! (sur adventice.com)
Mais il part... de Marie-Sophie Vermot:
Marie-Sophie Vermot s'est fait une spécialité d'écrire au coeur des problèmes adolescents, avec une élégance et parfois un humour qui en font l'une des meilleurs plumes françaises pour la jeunesse. Mais il part... est à ma connaissance son deuxième ouvrage parlant d'homosexualité masculine. Il n'y a chez elle ni complaisance ni misérabilisme. Les deux personnages d'adolescents sont assez formidables, aussi bien Saül que Bettina, la nièce de l'homme qui meurt du SIDA (Kyle). Au reste, l'histoire de leur amitié est le moteur principal de l'histoire, bien davantage que l'agonie de Kyle. M.-S. Vermot excelle aussi à capter les non-dits, les suspens, les élans brisés, entre Saül et les adultes tout particulièrement. Autre chose précieuse, le livre se clôt en laissant bien des portes ouvertes, ce qui est rare dans la littérature pour adolescents. (sur adventice.com)
La face cachée de Luna de Julie-Anne Peters
La face cachée de Luna est un très beau livre. Parfois, l'auteure en fait peut-être un peu trop question dramatisation, mais il s'agit d'un pêché véniel. A ma connaissance, il s'agit du premier livre pour adolescent qui aborde de front la question des transsexuels. Alors, comme souvent dans ce type de livre sur les « douloureux problèmes », c'est un témoin oculaire (la petite soeur) qui raconte. Mais Julie Anne Peters a réussi à exprimer très fortement et violemment ce que Luna ressentait dans son désir d'être fille, et le broyeur social qui lui est renvoyé à la figure. Ce n'est pas un livre d'une folle gaieté (même si certains passages sont assez drôles), mais extrêmement poignant, et qu'il est difficile d'abandonner avant de l'avoir terminé.
Mon frère et son frère de Hakan Lindquist
Mon frère et son frère a beaucoup de points communs avec Frère de Ted van Lieshout et "Mon coeur bouleversé" de Christophe Honoré. Dans les trois cas, il y a au coeur du livre le drame d'un frère mort dont on découvre peu à peu les joies et les peines. Le roman d'Hakan Lindquist est plus réaliste, plus social, moins poétique. Il fonctionne comme un roman policier anglais, avec une touche de suspense. A ce titre, c'est le genre de livre à éviter quand on veut se coucher tôt... Ce que l'on découvre peu à peu est bouleversant, mais il y a moins d'audace et de poésie que dans le roman de Lieshout, moins d'émotion contenue que dans le chef d'oeuvre de Christophe Honoré. Cela n'en demeure pas moins un bon livre. Recommandé pour les 14-17 ans ? (sur adventice.com)
Les roses de cendre d'Erik Poulet-Reney
En ces temps de réhabilitation des déportés homosexuels durant la 2ème guerre mondiale, "Les roses de cendre" semble venir à point nommé. Ce qui sauve ce livre de tout pathos et de toute bonne conscience est sa fin (que je ne raconterai pas, rassurez-vous !) Ceci étant, l'histoire n'échappe pas à un certain nombre de schémas convenus (là encore, je la boucle, histoire de ne rien éventer, le livre fonctionnant sur une cascade de révélations...) La plume de l'auteur mérite le respect, n'eussent été certains tics à mi-chemin entre Yves Navarre et Henri Pourrat. Si je raisonne en termes de cible, je pense que l'histoire touchera plus facilement un lectorat féminin, entre 14 et 20 ans, ce que je regrette, car ce sont les ados mâles qu'il faudrait rendre sensibles à cette histoire. Mais pour cela, un autre abord eut été nécessaire. (sur adventice.com)
Un papillon dans la peau de Virginie Lou
Un papillon dans la peau est l'un des trop rares romans pour jeunes dont le narrateur est un ado amoureux des garçons. Par delà son lyrisme et son côté un peu échevelé, exalté, c'est un livre captivant et vif. Il se présente sous la forme d'un mixte entre journal intime et correspondance : Omar, garçon sensible, se confie à la belle-mère de son amoureux Alexandre. Celui-ci est par ailleurs doté d'un père macho et (le plus souvent) absent, mais qui soudain décide de faire de son fils un « vrai » homme. A partir de là , le livre bascule de la chronique lycéenne au road movie, devient presque une épopée - non sans une certaine dose d'auto-dérision (Omar, encore appelé langoustine, est tout sauf un surhomme). L'ensemble est très attachant. (sur adventice.com)
Les lettres de mon petit frère de Christophe Donner
De tous les romans pour enfants de Chris Donner, celui-ci est sans doute le plus accompli. Cette description d'une famille un peu sinistre qui va s'enfermer pour des vacances au bord de la mer de plus en plus cauchemardesques est passablement croquignolette. Alors, bien sûr, il y a beaucoup de procédés et ça n'est pas très réaliste, mais le côté échevelé de l'intrigue est finalement un atout : ça évite le pathos et le message un peu lourd. L'auteur se contente de suggérer à quel point l'attitude des parents envers leur fils aîné homo est injuste. Et c'est grâce à la mécanique de l'absurde que l'auteur évite, élégamment, le livre à thèse. (sur amazon.fr)
Noël, c'est couic ! de Christophe Honoré
La relation père-fils est la grande affaire de Christophe Honoré, vue des deux points de vue, comme en témoigne ce dernier livre « pour (jeunes) enfants » en date. Parce qu'il aborde un thème fort d'aujourd'hui (l'homoparentalité) en le prenant complètement de biais, du point de vue d'un gamin rageur, ce joli livre m'apparaît comme l'un des plus réussis de son auteur. En somme, le fait qu'Anton a un papa doté d'un amoureux ne change strictement rien à la grande tragicomédie des relations familiales, ni à la stupeur qu'un enfant peut ressentir devant les comportements stupides de son géniteur. Bref, il s'agit d'un livre malicieux, bien écrit, touchant sans sensiblerie : à mettre entre toutes les mains. (sur adventice.com)
Un coeur grand comme ça de Cordula Tollmien
n pourrait, pour simplifier les choses, dire que Un coeur grand comme ça est un roman pour ados qui parle d'homoparentalité. Et effectivement, certains détails de l'histoire vont dans ce sens : Alex, une gamine de treize ans, fait un jour la connaissance d'une femme hors du commun, Ruth, qui petit à petit va devenir comme un nouveau membre de la famille et va peu à peu conquérir le coeur de sa mère, Anne, au grand dam de son père. Seulement, c'est un peu plus compliqué que cela. La relation entre Ruth et Anne est plus indécise qu'elle n'en a l'air, le père devient moins conformiste au fil des pages, d'autres personnages apparaissent... Au total, ce sont toutes les relations humaines qui sont recomposées autour de l'énergique figure de Ruth. Cornula Tollmien, à l'image de son charismatique personnage, défend surtout un idéal d'épanouissement des personnes qui se défie conventions et des schémas tout tracés. Voilà un message sympathique pour un livre ligne claire pas ennuyeux pour un sou. (sur adventice.com)
Adieu Maxime, de Brigitte Smadja
Ce livre, nonobstant ses aspects gay friendly, n'a rien de très exaltant. Il est écrit dans un style assez vulaire, dont la légitmité n'a rien d'évident. Quant au Maxime éponyme, c'est un parfait hétérocrate, n'eût été son oncle en train de mourir du « cancer gay ». On pourrait se demander à quoi rime la frilosité des auteurs français, qui parent leurs jeunes héros mâles de toutes les vertus viriles, comme s'il y avait un tabou à suggérer une quelconque ambiguïté. Encore ne s'agit-il là que d'un pêché véniel, au regard d'une éciture très convenue. (sur adventice.com)